A Midsummer night's dream de Britten au Grand-Théâtre de Genève

Xl_midsummer © Carole Parodi

Après les réussites qu'ont constitué Guillaume Tell en septembre et Les Troyens à Carthage en octobre, le Grand-Théâtre de Genève poursuit le chemin du succès avec cette nouvelle production du Songe d'une nuit d'été de Benjamin Britten
Ecrit pour le Festival d'Aldeburgh en 1960, ce petit chef d'œuvre – dont le livret mis au point par Peter Pears et le compositeur lui-même élague considérablement la donnée théâtrale – n'en est pas moins profondément shakespearien d'esprit et de ton, c'est-à-dire qu'il allie la poésie la plus éthérée au comique le plus robuste dans une musique épousant savamment les réactions des personnages et les situations étranges, mélange de féérie et de réalité dans lesquels ils se trouvent impliqués.

La mise en scène a été confiée à la grande femme de théâtre berlinoise Katharina Thalbach, fille du regretté Benno Besson, et l'on retrouve dans cette production la poésie, l'intelligence et la beauté – l'humour aussi - qui étaient la marque de fabrique de son père (on se souvient d'un Flûte enchantée d'un onirisme fou...) Elle a d'abord imaginé – avec le non moins excellent scénographe italien Ezio Toffolutti (qui signe également costumes et lumières) -  un tronc de femme nue qui prend toute la scène, toute en courbes et baignée dans une lumière bleutée, et dont les interstices que constituent son nombril et son sexe servent de cache et d'abri, notamment à Puck et aux amours illicites de Tytania et de Bottom, transformé en âne (avec l'énorme attribut auquel l'animal est associé...)
La metteure en scène allemande fait évoluer le couple principal – vêtu de costumes élisabéthains – ainsi que les Elfes qui leurs sont attachés (Cobweb, Peaseblossom, Mustardseed et Moth) dans un univers féérique, qui n'est pas sans évoquer parfois celui de Tolkien, tandis qu'elle situe l'action des personnages «réels» (les amants, les artisans, mais aussi Theseus et et Hyppolyta), à l'époque de le composition de l'ouvrage, à savoir à la toute fin des années 1950. Ezio Toffoluti a conçu de magnifiques costumes pour eux: les deux couples de jeunes gens sont habillés comme pour les parties de campagne d'autrefois dans la verte Albion, plus précisément dans le Suffolk qui a tant inspiré Britten. Les artisans portent des blouses de travail tandis que le couple Theseus (Brandon Cedel) et Hyppolyta (Dana Beth Miller) est en smoking ou élégante robe de soirée - tels qu'on peut en voir au très chic Festival de Glyndebourne - affichant une certaine morgue vis à vis des «petites gens». Tout ce tableau de l'acte III, où les artisans viennent donner une représentation loufoque de la pièce Pyrame et Thisbé, est monté comme une délirante mécanique de précision, déglinguée par des situations comiques qui a fait bien rire le public genevois.

Pour paraphraser notre collègue de La Tribune de Genève, le grand quotidien de la ville de Calvin, «La distribution est d'une homogénéité totale» («touchée par la grâce» affirme même - à raison - le Rédacteur en chef de Diapason), et chacun des 19 comédiens/chanteurs que compte l'ouvrage ont en effet été chaudement applaudis et doivent tous être cités.
L'équipe vocale peut ainsi compter sur le contre-ténor américain Christophe Lowrey (Oberon), à l'émission souple et au timbre moelleux, doté de surcroît de solides dons d'acteur, tandis que la soprano colorature slovène Bernarda Bobro campe une Tytania de grande classe, aux aigus faciles et à la séduction émouvante dans les scènes avec Bottom. Fille de Katharina Thalbach, Anna Thalbach, avec sa voix rocailleuse, campe un impayable Puck, léger, bondissant, écervelé et touchant.
Les quatre amoureux semblent interchangeables – comme le voulait le grand William – et sont pleins d'une vitalité bouillonnante et juvénile: ainsi la lumineuse Helena de Mary Feminear, la sensuelle Hermia de Stephanie Lauricella, l'impétueux et lyrique Lysander du ténor américain Shawn Mathey, et le suave Demetrius du baryton allemand Stephan Genz. Ils transforment leur quatuor du deuxième acte en un authentique climax.
Les six artisans sont tous excellents comédiens: citons le Quince de Paul Whelan, le Snug de Jérémie Brocard, le Snout d'Erlend Tvinnereim, le Starveling de Michel de Souza, avec une mention spéciale pour Stuart Patterson (Flute), irrésistible dans son incarnation de Thisbé, et la solide basse russe Alexey Tikhomirov qui incarne un Bottom idéalement débonnaire, à la vis comica irrésistible.

Tous ces talents évoluent dans l'écrin sonore né de la baguette du chef américain Steven Sloane, qui dirige avec ce mélange d'amour, de connaissance et d'imagination qui fait tout le prix d'une exécution des œuvres de Britten. Dès le prélude en glissement d'archets - mystérieux comme un fantôme sylvestre -
l'Orchestre de la Suisse Romande restitue avec sensibilité le souffle enchanté et ravissant de l'intrigue féérique, l'élégance du «grotesque» et la finesse parodique de l'ouvrage.

Bref, une magnifique production au Grand-Théâtre de Genève !

Emmanuel Andrieu

A Midsummer night's dream de Benjamin Britten au Grand-Théâtre de Genève, jusqu'au 30 novembre 2015

Crédit photographique © Carole Parodi

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