Chronique d'album : "Anges et démons à l'opéra", de Cyril Rovery

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Le mois dernier chez le label indépendant Adoopera, le baryton-basse Cyril Rovery sortait son premier disque intitulé Anges et Démons à l’opéra, au terme de plus de 20 ans de carrière. Ainsi qu’il nous le confiait à l’occasion d’une interview, il y a mis toute son âme, et n’hésite pas à parler d'aboutissement. Accompagné au piano par la jeune et talentueuse Olga Bondarénko, il déploie ainsi sa voix sur deux octaves et demie, mêlant airs connus et d’autres qui le sont moins, balayant les répertoires français, russe, allemand et italien dans cet enregistrement diponible sur les plateformes habituelles (Deezer, Spotify, Apple Music, Amazone music, ITunes) ainsi qu'une trentaine d’autres.

C’est le répertoire italien qui ouvre et clôt le disque, avec deux œuvres de Rossini bien distinctes. La première offre le plaisir de « La Calunnia » du Barbier de Séville, délicieusement insidieuse, aux accents quelque peu diabolique dans ce que le Diable a de plus charmeur et suave. On est donc derechef emporté dans la danse infernale qui nous fait plonger avec délice dans l’écoute, tandis que l’ultime air du disque fait place à une surprise rossinienne, La gazza ladra, œuvre peu jouée et parfois méconnue, qui se dévoile ici avec l'air « Si per voi pupille amate ». Ici, l’amour se transforme en haine et en fureur, et c’est donc sur un texte et des paroles sombres que l’on quitte l’écoute : « Il n’y a plus de place en moi pour la pitié ».

Mais le Diable et ses noirceurs sont contrastés et prennent des figures complexes, comme dans l’air de Bertram (démon des Enfers dévoré par l’amour paternel) « J’ai bravé le Ciel, pour toi je braverai l’Enfer », extrait de Robert le Diable. La diablerie n’est donc pas toujours simple, et le disque en met en lumière certaines des noirceurs, mais permet également de s’interroger sur des personnages extirpés de leurs contextes lyriques : sous l’éclairage de la thématique, Escamillo n’est-il finalement qu’un toréador héroïque, ou un homme trop sûr de lui qui gagne en suffisance à coup de massacre de taureaux, sans valeur chevaleresque et avec pour grande richesse humaine uniquement le faste du spectacle ? S’il rend le toast, il ne le fait qu’en se glorifiant lui-même…

« De l’art splendeur immortelle » (Benvenuto Cellini) est aussi un beau moment, intense dans l’émotion du piano-voix, d’une belle efficacité dramatique, avant que ne suive « Mentre gonfiarsi l’anima » d’Attila, moment clef pour l’œuvre et le personnage puisque le sombre chef de guerre est ici ébranlé par la vision d’un vieil homme. Nous retrouverons également avec plaisir Don Giovanni et son « Fin ch’han dal vino », Sarastro et sa prière « O Isis und Osiris », Eugène Onéguine, Wotan,… Chaque air est travaillé et servi sur un plateau d’argent pour l’écoute, sans fioriture, laissant apprécier le chant, la mélodie et le texte, grâce à une diction impeccable de Cyril Rovery dans chacune des quatre langues. Si bien que l’on ne se lasse pas une seconde de l’écoute riche, variée, montrant un beau panel de la tessiture du chanteur, nous promenant à travers les rôles, les époques, les genres, les pays, l’ombre, la lumière, et l’entre-deux de la pénombre…

Il convient également de s’arrêter un instant sur l’accompagnement au piano d’Olga Bondarénko, aux sonorités orchestrales (ainsi que nous le confiait le baryton-basse), aux couleurs multiples qui ne cessent au gré du disque de se nuancer pour mieux coller au timbre, à la respiration et à l’interprétation de Cyril Rovery, mais aussi à la partition, à l’œuvre originelle. Ici, le piano parvient à accompagner tout en ayant une existence propre. Non seulement on prend plaisir à l’écoute du chant, mais l’instrument accapare également l’écoute du fait la dextérité et la technicité d’Olga Bondarénko. Elle maintient l'absolu équilibre entre son instrument et la voix, entre devant de la scène (ou de l’écoute) et véritable appui pour le chanteur.

Pour conclure, Cyril Rovery et Olga Bondarénko nous offrent ici un « best of » qui, sous l’air de la simplicité du piano-voix, multiplie les couleurs et les nuances, laissant parler le chant et la musique pour mieux nous en imprégner et révéler la « splendeur immortelle » de l’art lyrique, le tout dans une complexité d’interprétation(s) qui ramène à l’essence de l’opéra, de ces airs et de cette magie particulière de la musique et du chant, parfois inexplicable.

Elodie Martinez

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