Une saison 2015-2016 « pour tous les goûts » à l’Opéra de Bavière

Xl_bayerische-staatsoper-2015-2016 © DR

Les maisons d’opéra aiment beaucoup convaincre leur public du caractère incroyablement novateur et varié de leur programmation ; en découvrant le programme de la saison 2015/2016 de l’Opéra de Bavière, même le spectateur le plus rétif aux séductions du marketing bien tempéré doit bien admettre que la maison n’a pas tort d’avoir de telles ambitions. Sur les sept nouvelles productions de la saison, trois d’entre elles présentent une œuvre du répertoire qui n’avait jamais été donnée dans la maison, sans compter une création mondiale et le retour au répertoire de La Juive après un siècle d’abstinence.

Bien sûr, l’innovation n’est pas partout dans ce programme, et à vrai dire, avec pas moins de 44 œuvres programmées de 22 compositeurs, ce n’est pas très étonnant. Chez Mozart par exemple, des soirées de très bon niveau sont toujours possibles, mais il faut bien dire que la maison vit en la matière sur son héritage, avec d’ailleurs une tarification en conséquence. Les plus anciennes productions du répertoire, La Bohème et Le Chevalier à la rose par Otto Schenk et La Flûte enchantée par August Everding, sont toujours là, un peu défraîchies mais toujours aimées par une partie du public. Le Chevalier à la rose vaudra d’ailleurs le voyage, puisqu’on pourra y entendre la vision étonnante, très dramatique et âpre, du directeur musical de la maison, Kirill Petrenko, avec au sommet de la distribution la merveilleuse Maréchale d’Anja Harteros, dans une acoustique qui lui conviendra certainement mieux que les grands espaces de Bastille. Petrenko et Harteros sont du reste deux des grands arguments de vente de la maison, à juste titre : tous deux y défendront aussi Tosca, et cela vaudra sans doute la peine d’affronter la production peu inspirée de Luc Bondy ; chez Strauss, ils seront réunis pour les débuts d’Anja Harteros en Ariane aux côtés de Peter Seiffert et Brenda Rae, mais elle sera seule pour reprendre Arabella. Enfin, après les deux Léonore, son nouveau début verdien sera Amelia dans une nouvelle production du Bal masqué, sous la direction d’un ancien directeur musical de Munich, Zubin Mehta, qui ne l’avait jamais dirigé.

Kirill Petrenko, lui, est naturellement plus présent encore. Il y dirige d’abord une création, œuvre du jeune compositeur tchèque Miroslav Srnka qui, dans South Pole, envoie Thomas Hampson et Rolando Villázon sur les traces des explorateurs Scott et Amundsen, dans une mise en scène du vieux maître Hans Neuenfels. L’autre nouvelle production de la saison, pour lui, est très attendue : parce qu’il s’agit des Maîtres chanteurs de Nuremberg, parce qu’elle sera donnée dans le théâtre où l’opéra de Wagner a été créé, et parce que la distribution réunit Wolfgang Koch et Jonas Kaufmann, qui vivent tous deux à Munich. La mise en scène est confiée à David Bösch, dont on a pu admirer aussi bien à Munich qu’à Lyon le goût prononcé pour une narration vivante et nourrie par un imaginaire parfois spectaculaire. En tout, ce sera huit productions d’opéra que dirigera le directeur musical : c’est sans doute sa Chauve-Souris qui mérite le plus de retenir l’attention. L’opérette de Johann Strauß est souvent proposée, dans une vieille production, pour la Saint-Sylvestre ; cette fois, il faut s’attendre au moins à une interprétation musicale très éloignée de la routine. Avec Johannes Martin Kränzle, Anne Schwanewilms et Anna Prohaska, les oreilles seront à la fête.

 

Mais il faut bien des ténors, dans une maison d’opéra, n’est-ce pas ? Aucune inquiétude : ils sont bien là. Jonas Kaufmann chantera la saison prochaine non seulement dans Les Maîtres-chanteurs, mais aussi dans Tosca et dans Aida, pour la première fois sur scène ; Rolando Villázon y sera pour ainsi dire en résidence, Klaus Florian Vogt, Piotr Beczala ou Joseph Calleja reviendront, mais c’est surtout la présence de Roberto Alagna qui constituera un événement : il a déjà chanté à Munich, mais c’est cette fois dans une nouvelle production qu’il interviendra, et pas n’importe laquelle : ce sera en effet ses débuts dans le terrible rôle d’Éléazar de La Juive, que mettra en scène Calixto Bieito.

Tout aussi indispensable que les ténors, le répertoire du XXe siècle est désormais un passage obligé que l’Opéra de Bavière emprunte très volontiers : on verra ainsi Angela Denoke reprendre L’affaire Makropoulos de Janáček, après une première série défigurée par un choix de distribution regrettable ; la très intense production de Dialogues des Carmélites par Dmitri Tcherniakov y sera aussi reprise avec une distribution largement française – Sylvie Brunet, Stanislas de Barbeyrac, Laurent Naouri, et Bertrand de Billy à la baguette –, et on pourra revoir du même metteur en scène une Lulu qui aura sa première dans quelques semaines. Les jeunes solistes du « studio » auront quant à eux à défendre la merveille comique qu’est Albert Herring de Britten. Mais on découvrira aussi pour la première fois à Munich L’Ange de feu de Prokofiev, cette sombre histoire du Moyen Âge germanique : pour ce faire, Nikolaus Bachler, l’intendant de l’Opéra de Bavière, a débauché son collègue de l’Opéra-Comique de Berlin, Barrie Kosky ; l’un des plus intéressants chefs de la jeune génération, Vladimir Jurowski, y dirigera une belle distribution dominée par Evgeny Nikitin et Evelyn Herlitzius.

Les deux autres premières de la saison ne sont pas moins rares ; Mefistofele, qui ouvre la saison, n’avait jamais été donné à Munich, et il le sera pour René Pape, qui n’avait pas eu les honneurs d’une nouvelle production depuis longtemps.

En fin de saison, dans une salle plus petite que le vaste Nationaltheater, ce sera Rameau qui sera à l’honneur, puisque ce sera la première fois depuis le xviiie siècle qu’un de ses opéras sera mis en scène à Munich : Ivor Bolton, toujours indispensable à Munich comme à Salzbourg, y dirigera fin juillet Les Indes Galantes, monté par le chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui ; dans la distribution, on attend surtout les deux dames, Lisette Oropesa et Anna Prohaska. Dans un monde germanique encore très rétif à l’opéra baroque français, la réaction du public à cette musique inédite pour lui sera intéressante à observer.

Bien sûr, un programme d’opéra ne pourra jamais entièrement ravir tous les amateurs ; qu’on aime les raretés du répertoire, la modernité scénique, les grandes voix lyriques, il y en a pour tous les goûts dans cette nouvelle saison : le choix des nouvelles productions est sans doute plus audacieux que cette saison, mais on peut surtout apprécier pour la prochaine le très grand nombre de reprises dignes d’intérêt. Et ce avec une tarification qui, à défaut d’être toujours accessible à tous, l’est beaucoup plus que celle de toutes les maisons concurrentes.

Dominique Adrian

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