Enregistrement : la belle Arabella de Renée Fleming

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Arabella, la « comédie lyrique » de Richard Strauss est un mélange de subtilité tendre, d’ambiguïté audacieuse, de frivolité typiquement viennoise – ce que les Autrichiens désignent par ce mot intraduisible, la « Gemütlichkeit ». L’histoire n’y est pas traversée d’éclats tragiques, c’est du pur Hoffmansthal, avec sa poésie fragile et fluide, discrètement immorale ou au moins impudique (dans l’esprit de la première scène du Chevalier à la rose), avec ses plongées dans une intimité qui culmine, au troisième acte, quand la jeune et jolie Zdenka, n’est plus déguisée en garçon mais apparait, écrit Hoffmanstahl, « in einem Negligé, mit offenem Haar, völlig Mädchen » – c’est-à-dire (quelle délicatesse de l’expression !) dans un déshabillé, les cheveux défaits, ayant totalement l’allure d’une jeune fille – ce qu’à l’orchestre la musique déploie, lumineuse comme pour une apparition. En fait Arabella évoque irrésistiblement ce vers de Baudelaire, si chargé de sensualité : « Nous aurons des lits pleins d’odeurs légères… ».

L’histoire de cette comédie douce-amère est assez simple : Arabella est la fille ainée du comte Waldner, un aristocrate viennois ruiné qui, ne peut assurer à la fois la dot de celle-ci et celle de sa cadette, Zdenka. Il décide donc de la faire passer pour un jeune homme, sous le nom de Zdenko. Mais Arabella ne se décide pas entre tous ses soupirants, rêvant d’un homme parfait qu’elle ne reconnait chez aucun – tandis que Zdenko, le faux « petit frère », est secrètement amoureux de l’un d’eux, Matteo. C’est alors qu’arrive un riche croate, Mandryka : il a tout ce dont rêvait Arabella ; le coup de foudre est réciproque. Tout irait pour le mieux si un quiproquo ne s’installait du fait de Zdenko-Zdenka, trop attaché à préserver « son » Matteo, un quiproquo qui fait croire à Mandryka que la belle Arabella le trompe ! Heureusement, tout se dénoue et Arabella peut tendre à Mandryka le verre d’eau qui, comme celui-ci le lui a appris au deuxième acte, symbolise l’amour éternel. Pour porter ce joli canevas, Richard Strauss a su inventer une musique d’un lyrisme confondant et sans cesse renouvelé, du sublime duo des deux sœurs, au premier acte, dans lequel elles évoquent celui qu’elles espèrent, cet homme « juste », idéal, jusqu’à l’émouvant duo d’amour du deuxième acte ou, surtout, au duo final, celui du verre d’eau offert, scellant l’amour de ces deux jeunes gens qui se sont reconnus. Le tout porté par une musique effusive, avec cet entrelacement des voix qui semblent monter vers le ciel, cette ductilité si caractéristique du chant straussien.

La réussite de la production de Salzbourg 2014, qui parait en DVD (avant d’être projetée, en novembre, dans les cinémas UGC – dans le cadre de la série Viva l’opéra), tient d’abord à une production très soignée visuellement : Florentine Klepper n’a pas cherché la relecture, la distanciation, l’analyse radicale, le parti pris idéologique ou psychanalytique, elle a tout simplement mis en scène cette Arabella avec respect. C’est presque révolutionnaire ! On est véritablement à Vienne, au début du XXème siècle, les décors et les costumes le disent, les rapports entre les personnages y apparaissent d’autant plus vrais, évidents, on chante comme on parlerait et l’orchestre crée l’atmosphère sonore – admirable Staatskapelle de Dresde, aux éclats mordorés et à la matière souple, somptueuse d’étoffe, de grain, sous la baguette superlative de Christian Thielemann. Et puis il y a cette distribution absolument parfaite, jusque dans les seconds et même les plus petits rôles de cette comédie, de la tireuse de cartes à la femme du comte en passant par l’officier Matteo. Mais ce sont bien sûr le Mandryka de Thomas Hampson, au ton toujours juste, à la présence émouvante, et l’Arabella de la grande Renée Fleming qui constituent l’attraction de cette admirable production. Sans minauderie, elle est d’une crédibilité parfaite dans ce rôle de jeune fille, avec une séduction des phrasés, une pâte sonore onctueuse, fluide, aux aigus déployés comme des fleurs qui s’ouvrent. C’est sans doute aujourd’hui la plus belle réalisation, tant visuelle que musicale, de cette délicieuse comédie lyrique magnifiée par cette grande dame du chant que demeure Renée Fleming.

Alain Duault

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