Maria Bengtsson, athlète de la sensibilité : de Peter Grimes (Madrid) à Dialogues des Carmélites (Francfort)

Xl_maria_bengtsson_037 © Monika Rittershaus

Quand nous la rencontrons au Teatro Real de Madrid entre deux représentations de Peter Grimes de Britten, Maria Bengtsson s’apprête à courir quelques kilomètres en extérieur. « C’est ma seule occasion de prendre l’air. Quand je sors du Théâtre, je rentre directement à mon appartement, en passant parfois au supermarché. Nous avons la chance de pouvoir chanter devant un public, donc il ne faut prendre aucun risque ». L’Espagne permet en effet aux artistes de se produire depuis le début de la saison, mais pas sans conditions, comme nous l’expliquait il y a quelques jours le directeur artistique de la maison « royale », Joan Matabosch. Maria Bengtsson précise elle aussi que « le processus de production est très strict depuis le premier jour de répétition. Nous sommes testés deux fois par semaine et nous avons répété masqués jusqu’à la répétition générale ». 

Interpréter Ellen Orford en public au Teatro Real

Les retrouvailles avec les spectateurs lui font en tout cas chaud au cœur. « Le public vous permet de donner le meilleur de vous-même, à plus de 100%, car il apporte une émotion supplémentaire à celle qui règne pendant les répétitions. C’est pour lui que nous chantons et jouons, le lien est très fort ».

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La soprano incarne pour la première fois le rôle d’Ellen Orford dans cet opéra de Britten. Qui est ce personnage, selon elle ? « Le livret en fait un portrait diffus. Ellen Orford est veuve et institutrice, elle sait s’occuper d’enfants. C’est une sorte d’ « étrangère » d’un autre village. Dès le début de l’opéra, elle fait preuve d’empathie et de courage civique. Elle prend la défense de l’outsider Peter Grimes, dont elle se prend d’affection et entrevoit la douleur ».

Concernant le langage de l’œuvre, « Grimes parle avec plus d’intellect et de poésie que les autres habitants du borough. Elle décèle cela. Il est « différent », comme elle, et c’est ce qui les rapproche ». Quant à la relation entre les deux personnages, qui n’est pas une histoire d’amour traditionnelle : « Ellen veut vraiment aider Peter et le jeune garçon qui travaille pour lui, elle l’accepte tel qu’il est ».

Dans cette superbe production de Deborah Warner, Ellen Orford a toujours son sac à dos sur elle. Elle se tient prête à partir à tout moment, mais aussi à soigner les plaies, à panser les âmes. « Nous avons passé beaucoup de temps à discuter des personnages avec Deborah, pour chercher différents points de vue et comprendre ce qui les pousse à agir. Je n’avais jamais travaillé avec autant d’intensité sur le passé d’un personnage, ni creusé à un tel niveau la psychologie d’un rôle. Je suis très reconnaissante d’avoir eu le privilège de collaborer avec Deborah. Son travail est précis et humain à la fois ». Au-delà des questions politiques et sociales soulevées par ce Peter Grimes, Maria Bengtsson est particulièrement sensible à l’évocation de l’esclavage des enfants qui « existe partout dans le monde, même en Europe, où l’on s’y attend moins. C’est difficile à croire et terriblement triste ».

En attendant une prise de rôle dans les Dialogues des Carmélites à Francfort

La soprano devait apparaître dans Le Tour d’écrou de Britten à la Staatsoper Unter den Linden cette saison, mais la production a été remplacée par une version raccourcie de La Flûte enchantée en raison de la pandémie – quatre représentations ont pu être données avant le confinement. Bien que n’ayant pas interprété Pamina depuis 2010 à l’Opéra National de Bordeaux, elle avoue sa passion de Mozart. « Il est toujours bon de revenir à Mozart, cela permet de garder la voix en forme, et c’est une technique que j’utilise pour tous les rôles ». Elle prend plaisir à chanter dans différentes langues, car « chacune d’entre elles ajoute un caractère spécifique aux rôles en fonction des voyelles, de la prosodie et du fil des consonnes ». Et si elle a déjà bien exploré le répertoire de la mélodie française, l’opéra français est encore un territoire à défricher : après une incursion en Micaëla dans Carmen, elle fera ses débuts dans Dialogues des Carmélites de Poulenc (son second opéra français, donc), fin juin à l’Oper Frankfurt. « J'ai suivi plusieurs séances de coaching en français, c'est un défi. Mais chanter en français est passionnant, en raison de la diversité des sonorités et des couleurs vocales ».
Maria Bengtsson y retrouvera notamment le metteur en scène Claus Guth. « J’ignore encore ce qu'il a en tête quant à la scénographie, mais j'ai hâte d'explorer le rôle de Blanche de la Force avec lui. J'admire profondément son travail et je suis chanceuse d'avoir déjà travaillé avec lui à plusieurs reprises. J’ai envie de dépasser la nature angoissée du personnage de Blanche et d'envisager de nouvelles facettes du rôle ».

Pour la suite, Maria Bengtsson prépare Jenůfa, se replonge dans Capriccio, « rafraîchit » sa Comtesse des Noces de Figaro (notamment pour l’Opéra national de Paris) et sa Maréchale du Chevalier à la rose. Elle ne se repose jamais sur ses lauriers, passant de l’esthétique baroque de Monteverdi à la musique d’aujourd’hui. Sa carrière n’a rien du parcours de santé, mais la forme vocale n’en perd nullement son éclat !

Propos recueillis et traduits de l’anglais par Thibault Vicq

Peter Grimes,de Benjamin Britten, au Teatro Real (Madrid) jusqu’au 10 mai 2021

Crédit photo © Monika Rittershaus

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