Jean-Louis Grinda met en scène Ernani à l'Opéra Royal de Wallonie

Xl_jean-louis_grinda © DR

Pendant treize années, Jean-Louis Grinda a dirigé l'Opéra Royal de Wallonie avant de prendre la tête de celui de Monte-Carlo. Il y revient en tant que metteur en scène, cette fois, pour la reprise d'une production d'Ernani de Giuseppe Verdi, étrennée l'an passé à Monaco. Quelques heures avant la première, nous avons pu rencontrer l'homme de théâtre monégasque pour évoquer sa double casquette de metteur en scène et de directeur d'institution lyrique...

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Opera-Online : Comment l'opéra Ernani de Verdi a-il trouvé sa place dans la sélection d’ouvrages que vous pouviez potentiellement mettre en scène ?

Jean-Louis Grinda : Et bien pour commencer parce que je l'aime cet ouvrage... je dirais même que je l'adore ! Je trouve qu'il renferme des trésors musicaux et les ferments de tout ce que va être le Verdi de la maturité, et notamment l'invention du baryton Verdi. C'est avec le rôle de Carlo dans Ernani que Verdi invente cette typologie vocale très particulière, avec une épaisseur psychologique, un parcours qui évolue au fur et à mesure de la partition : le Carlo amoureux du début n'est ainsi pas le Carlo du troisième acte qui accède, après une scène fantastique, au pouvoir suprême d'Empereur. En devenant Charles Quint, il accède au pouvoir de pardonner et le pardon est la plus grande marque du pouvoir. La grande scène d'introspection de Carlo au 3ème acte est magnifique : le personnage passe d'une méditation sur le réel à quelque chose de beaucoup plus métaphysique, une réflexion sur la solitude du pouvoir et le devoir de décision en bravant tous les dangers.

Comment présenteriez-vous la scénographie de votre spectacle ?

D'abord j'ai voulu respecter l'époque; on parle ici de Charles Quint et d'une période bien déterminée. Les costumes du spectacle sont ceux que l'on pouvait admirer à la Cour espagnole à cette époque tandis que pour les décors, j'ai voulu quelque chose de plus contemporain avec un travail très important sur des miroirs. Des miroirs qui permettent de voir l'envers des personnages, qui sont propices au côté mystérieux de cette œuvre et qui créent un certain vertige pour le spectateur.

Que raconte pour vous cet opéra ?

Ernani est l'archétype même de l'opéra romantique, mettant en scène des personnages qui sont désespérés et qui sont par ailleurs monolithiques. Par exemple, Ernani est voué au malheur et à la mort dès son entrée en scène : c'est son destin. De même, le chant d'Elvira n'exprime jamais la joie, et son duo d'amour avec Ernani, on sent bien qu'ils n'y croient pas plus l'un que l'autre. Si le texte parle d'amour, la musique exprime elle tout autre chose. Silva est de son côté sincèrement amoureux, mais c'est un homme dur qui appartient au passé. Seul Carlo, comme je vous l'ai déjà dit, est un personnage positif, qui évolue, en prenant des risques fous par amour pour Elvira. L'opéra parle de la transformation d'un homme par le pouvoir de l'amour : Carlo est un roi de plomb qui devient en Empereur en or, grâce à sa rencontre avec Elvira.

Vous arrive-t-il malgré tout de modifier vos spectacles lorsqu’ils sont repris ?

Il m'arrive de modifier certains aspects de mes spectacles, mais c'est surtout en fonction des nouveaux solistes que je suis amené à revoir certaines choses. On ne monte pas Falstaff avec Bryn Terfel comme on le fait avec Nicola Alaimo, par exemple... Le second paramètre qui peut entraîner des modifications, c'est le chef d'orchestre : il peut vouloir supprimer les cabalettes par exemple, ou choisir des tempi qui vont changer la couleur d'un spectacle...

Quel est votre meilleur souvenir de production pendant votre mandat de directeur général de l'Opéra Royal de Wallonie à Liège ?

C'est une question cruelle, mais je pense que le plus beau spectacle qu'on ait fait, ca a été Pelléas et Mélisande mis en scène par Philippe Sireuil, dirigé par Patrick Davin, avec Anne-Catherine Gillet, Jean-François Lapointe et Marc Barrard. Je me rappelle notamment de la scène de la tour, merveilleusement poétique, où la soprano chantait perchée sur un trapèze... C'est une œuvre à laquelle je suis resté longtemps hermétique avant d'être touché par la grâce infinie de la musique de Debussy et du texte de Maeterlinck. .

Être metteur en scène dans son propre théâtre, c'est être un petit dieu en son royaume, dit-on. Est-ce vrai ?

Pour dire la vérité, je fais aujourd'hui l'inverse de ce que pensais quand j'étais jeune, à savoir qu'il fallait séparer les deux charges. J'étais directeur de théâtre et je pensais que mon job était d'offrir aux artistes les meilleures conditions pour qu'ils puissent exprimer leur talent. Puis un concours de circonstances a fait qu'à l'âge de 39 ans je m'y suis mis, avec une comédie musicale, Chantons sous la pluie en l'occurrence. Ca a été un énorme succès, et mon spectacle a même été couronné par un Molière en France. Quand on est metteur en scène et directeur de théâtre à la fois, on est obligé de mettre les mains dans le cambouis, car on connaît de l'intérieur la mécanique la plus intime d'une réalisation théâtrale. On est encore plus obligé d'être attentif aux artistes qu'on invite car ils sont encore plus en droit de nous reprocher de ne pas les écouter assez et de ne pas tout mettre en œuvre pour que le spectacle soit réussi.

Vous programmez dans votre théâtre cette saison des titres rares comme La Wally, Le Joueur, Attila... Le public ne doit pourtant pas manquer de vous réclamer certains grands tubes du répertoire, comment lui résister ?

Vous savez, diriger un théâtre, c'est savoir jusqu'où il faut aller trop loin... Il faut toujours chercher plus, et ne pas miser sur le côté plan-plan - réel ou supposé - du public. Le public n'est pas idiot et tout demeure possible dans un théâtre tant qu'il existe une relation de confiance entre un théâtre et ses spectateurs. A Monte-Carlo, les gens sont prêts à me suivre et je les en remercie ; pour preuve, toutes les places de la saison 15/16 sont déjà vendues, Le Joueur de Prokofiev compris. Il faut tisser une relation de confiance avec le public et ne pas lui donner seulement ce qu'il aime, mais ce qu'il pourrait aimer. Ne pas prendre de risques, c'est s'appauvrir...

Pour en revenir à votre fonction principale, qui est celle de directeur de l’Opéra de Monte-Carlo, qu’est-ce qui, dans le contexte économique particulièrement morose de notre époque, fait selon vous un bon directeur d’opéra en 2015 ?

Le respect du budget est bien sûr quelque chose d'important, mais ce n'est pas ça qui fait un bon directeur d'opéra. Un bon directeur d'opéra, c'est quelqu'un qui respecte son public tout en n'ayant pas peur de le pousser dans ses retranchements. C'est quelqu'un qui est atttentif aux artistes - metteurs en scène invités compris - et qui les respecte en leur proposant les meilleures conditions de travail possibles. Sa tâche est aussi - dans le contexte économique difficile auquel vous faites référence - de leur donner le plus de travail possible. Si nous ne le faisons pas, qui le fera ? Par ailleurs, l'administratif doit toujours être au service de l'artistique et l'obstacle budgétaire est là pour être contourné. La vraie bataille à laquelle on doit se consacrer, c'est la recherche de la qualité !

Propos recueillis à Liège par Emmanuel Andrieu

Jean-Louis Grinda met en scène Ernani de Giuseppe Verdi à l'Opéra Royal de Wallonie, jusqu'au 6 octobre 2015 

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