Elsa Dreisig, soprano au caractère bien trempé

Xl_xl_elsa_dreisig © DR

Après avoir raflé les prestigieux prix Neue Stimmen et Operalia, ainsi que la Victoire de la Révélation lyrique de l’année en 2016, la soprano franco-danoise Elsa Dreisig fait une ascension fulgurante dans l’univers lyrique. En troupe à la Staatsoper de Berlin, nous avons rencontré cette artiste pressée et au caractère bien trempé lors du festival d’Aix-en-Provence où elle interprétait Micaëla dans la production très controversée de Dmitri Tcherniakov

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Opera-Online : Quelles ont été les grandes étapes de vos années d'apprentissage de chanteuse ?

Elsa Dreisig : La première étape de ma vie a été d’accompagner ma mère (NDLR : la soprano Inge Dreisig) un peu partout en France et en Europe. Grâce à ça, j’ai eu un rapport très naturel avec la musique, avec la scène, et j’ai pris très vite confiance en mon oreille musicale. Bref, j’étais un vrai « petit rat », mais dans le domaine lyrique. Une autre grande étape a été le CNSM de Paris, et je suis partie en Erasmus dès ma seconde année, en Allemagne, car j’avais le fantasme de la troupe, et surtout le pressentiment que ma carrière se ferait là-bas. A Leipzig, où je suis arrivée à l’âge de 19 ans, j’ai fait mes premiers concours de chant, et j'y ai rencontré le directeur de l’Opera Studio de la Staatsoper de Berlin. Et voilà la troisième grande étape de ma vie d’artiste, qui a été d’auditionner devant Daniel Barenboïm qui m’a prise aussitôt dans la troupe de la maison qu’il dirige. Les Concours – et ce non-doute de ce que je peux apporter dans le chant – m’ont amenée là où je suis aujourd’hui.

En 2016, vous avez remporté coup sur coup la Révélation artiste lyrique aux Victoires de la musique classique et le premier Prix féminin au Concours Operalia. Ces prix ont-ils boosté votre carrière ?

J’en suis persuadée. Je fais partie de ce qu’on appele les « chanteurs de concours ». Quand j’ai gagné le Concours de Leipzig – avec orchestre – face à des gens beaucoup plus âgés et expérimentés que moi, et sans avoir aucune ambition de le gagner, je me suis dit qu’il y avait là quelque chose à creuser, car ça a été un moment facile pour moi, sans ressentir le malaise que beaucoup ressentent quand ils sont confrontés à cet exercice. Je suis quelqu’un qui supporte très bien la pression, qui garde la tête froide, et puis je ne me compare pas aux autres, et si j’entends une voix exceptionnelle passer juste avant moi, cela ne va pas me déstabiliser par exemple. Ce que l’autre fait ne remet jamais en doute ce que moi je sais pouvoir faire. Quand j’ai pris conscience de ces qualités-là, je me suis dit « go ! ». En plus, c’est de l’argent très facile à gagner, ce qui m’a permis de me payer les cours de chant dont j’avais besoin, des lessons qui coûtent très chères. Par ailleurs, les concours de chant font parler de vous ; grâce à eux j’ai vite trouvé un bon agent, et je n’ai pas eu à aller vers qui que ce soit, ce sont les autres qui sont venus à moi. C’est une vraie chance et j’en ai bien conscience.

Vous avez participé à la production des Parapluie de Cherbourg au Théâtre du Châtelet en 2015 (aux côtés de Natalie Dessay et Laurent Naouri), aimeriez-vous faire plus de comédies musicales ?

J’adore ça, d’ailleurs dans tous mes concerts, je mets toujours un « crossover » ou un air tiré d’une Comédie musicale. J’adore par exemple Kurt Weill qui est un mélange entre la musique de cabaret et le classique, avec des textes par ailleurs géniaux, et je rêve de chanter un jour dans une production de Street Scene par exemple. Par contre le problème avec ce genre musical, c’est qu’il demande également des qualités de danseurs, et je ne crois pas encore être à niveau pour l'instant ! (rires)

Vous chantez Micaela dans une production très spéciale et décalée signée par le trublion russe Dmitri Tcherniakov. A-t-il été facile pour vous de rentrer dans la vision qu’il a du personnage ?

Personne n’était au courant de rien quand toute l’équipe vocale est arrivée à Aix pour travailler avec Tcherniakov. Il nous a d’abord expliqué qu’on allait « jouer » Carmen sur scène, et qu’on n’allait jamais être au premier degré des personnages, puis on a obtenu les « détails » au fur et à mesure des répétitions. Quant à mon personnage, ça a été très simple pour moi, parce qu’il avait une vision extrêmement précise du personnage de Micaëla : je devais être plus âgée que je ne le suis, une femme dans la quarantaine, plutôt riche et bourgeoise, chiante aussi (rires), et donc un personnage très éloigné de l’Oie blanche traditionnelle. Tcherniakov pense qu’elle n’est pas amoureuse de Don José, au sein de cette production, car sinon Micaëla aura fait un travail sur elle-même plutôt que d’envoyer Don José en thérapie. Donc ce n’est pas un geste d’amour, c’est au contraire une femme castratrice, comme on en trouve dans la « vraie vie », une femme qui a peur de perdre le statut social acquis grâce à son mari. Autant dire que le personnage est très éloigné de moi (rires), mais j’ai vu ce genre de personne, notamment dans des films, et ça m’a beaucoup inspirée.

Vous êtes actuellement en troupe à la Staatsoper de Berlin. Qu’est-ce que cela vous apporte ?

Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, intégrer une troupe était un vrai fantasme pour moi, et l’est pour beaucoup de collègues. La Staatsoper de Berlin me laisse beaucoup de liberté, j’y suis pour au moins les cinq prochaines années à venir, et à côté de ça, je suis libre de chanter à l’Opéra de Paris, au festival d’Aix ou à l’Opéra de Zurich. Donc, ça ne m’enferme pas dans une ville, ce que je ne veux surtout pas, et en même temps ça me donne un lieu fixe, un « heimat » comme on dit en allemand. Et puis commencer sa carrière sous le regard bienveillant d’un grand chef d’orchestre, en l’occurrence celui de Daniel Barenboïm, on ne peut pas rêver de mieux, car ça attire les regards sur vous, et puis quel bonheur de pouvoir être dirigé par lui...

Quelle place prennent les mélodies et les lieder dans votre carrière ? Aimez-vous le récital ?

Pour être franche, la même que l’opéra ! Pas en quantité, bien sûr, mais en termes de désir. J’essaie ainsi de donner au moins cinq récitals par an, avec pianiste, orchestre de chambre ou même formation symphonique. C’est tellement autre chose qu’on reçoit par rapport à une représentation d’opéra ! L’investissement est très différent, car dans un récital on porte tout sur nos épaules, sans le soutien d’autres collègues ou d’une mise en scène. Il y a une vraie prise de risque avec le récital, mais il permet de montrer quel artiste et quel être humain on est, et c'est ça qui me plaît vraiment.

Quel est votre répertoire de prédilection, celui que vous avez le plus de plaisir à interpréter ?...

Le belcanto ! Je pense avoir un certain instinct musical pour cette musique. La musique française est beaucoup plus compliquée à aborder pour moi. J’adore Massenet, Bizet et Gounod, mais je peux m’y perdre vocalement parlant, en m’éloignant de la nature de mon instrument. Quand on chante dans sa propre langue, il y a des choses qui se mettent automatiquement en place, comme prononcer les mots à la perfection, et impose un carcan qui peut se faire au détriment du chant...

Quels sont vos prochains projets ?

J’en ai de merveilleux à la Staatsoper bien sûr. La saison prochaine, je vais faire mes débuts dans Traviata, ça sera le point fort de mon emploi du temps, et j’y pense tous les jours car c’est un vrai défi. Tout le monde me dit que c’est trop tôt, mais moi je ne le crois pas, même si je chanterai sans doute mieux le rôle quand j’aurai 35 ans qu’à 26. Mais je crois pouvoir donner du nouveau, vivre de l’intérieur cette Traviata, et l’interpréter avec autant de justesse que d’ici 20 ans. Toutes les notes de Traviata, hors le contre-Mi bémol que je ne veux pas faire, je les ai, et c’est au niveau de l’endurance que je me questionne, raison pour laquelle je me prépare mentalement à ce défi dès maintenant. Je déteste et détesterai toute ma vie être mise dans de petites cases, et chanter Traviata, Pamina et Eurydice la même année, ça ne peut que nourrir ma liberté de chanteuse et de femme. J’aime le risque, c’est plus fort que moi, c’est ce qui me galvanise et me fait avancer dans la vie. Je ne veux pas faire reposer ma carrière sur la prudence, je préfère l'intensité à la durée, et l'on ne me refera pas ! 

Propos recueillis par Emmanuel Andrieu à Aix-en-Provence en juillet 2017

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