À Bruxelles, la Monnaie annonce une chatoyante saison 2018-19

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Le printemps appelle les maisons d’opéras du monde entier à bourgeonner de leur programmation 2018-19, et le moins que l’on puisse dire, c’est que Peter de Caluwe, le directeur de la Monnaie de Bruxelles, n’y est pas allé de main morte sur la sélection de la fine fleur du monde lyrique. Et le mot d’ordre est le jeu : celui qui permet de trouver la place de se reconstruire soi-même dans une société divisée et d’accéder à une nouvelle vision du monde, par la mise en perspective, la recherche et la comparaison. Pour cela, le Théâtre royal va réunir des artistes phares des saisons précédentes et continuer à ancrer sa créativité avec le directeur musical Alain Altinoglu, arrivé il y a près de deux ans et demi. La récréation introductive du spectateur consiste ainsi à retrouver les traces passées de ces signatures inoubliables.

Le rideau s’ouvre avec une Flûte enchantée repensée par Romeo Castellucci – l’homme de théâtre et plasticien s’était initié à la mise en scène d’opéra dans la capitale belge avec Parsifal – dans un champ de sculptures 3D modélisées à partir d’algorithmes afin de creuser la dualité du Singspiel. Le chef Antonello Manacorda continue d’explorer Mozart dans le sillon de Lucio Silla cet hiver et sera désormais invité chaque année. Sabine Devieilhe, en Reine de la Nuit, déjà familière de Castellucci pour avoir collaboré avec lui en ces murs dans Orphée et Eurydice en 2014, sera notamment entourée d’Ed Lyon, Sophie Karthäuser, Elmar Gilbertsson, Georg Nigl et Elena Galitskaya, Gábor Bretz, ce dernier étant à l’affiche du Lohengrin d’Olivier Py le mois prochain. À cette première distribution internationale succèdera un second casting dont les rôles alternants seront tous belges (Reinoud van Mechelen, Tijl Faveyts, Ilse Eerens…).

Olivier Py, justement, avait également monté de superbes Dialogues des Carmélites en décembre, et aura la tâche de recréer la Venise du XVIIe siècle à sa singulière manière dans La Gioconda d’Amilcare Ponchielli, début 2019. Les passions de Martina Serafin et Franco Vassallo ou Scott Hendricks et Béatrice Uria Monzon, sur un livret d’Arrigo Boito (dont on commémore le centenaire de la mort cette année aux Chorégies d’Orange et à l’Opéra de Lyon) prendront vie sous la baguette de Paolo Carignani. Silvia Tro Santafé chantera Laura (en alternance avec Szilvia Vörös), en plus de livrer un récital dédié à la musique espagnole au même moment.

Le belcanto, toujours, mais dans un registre de commedia dell’arte, pointera le bout de son nez avec Don Pasquale de Donizetti. Le surréalisme de Laurent Pelly revient donc pour les Fêtes, comme c’était le cas avec son mémorable Coq d’or en 2016. Michele Pertusi et Pietro Spagnoli incarneront le rôle-titre, le premier fort de son succès à Paris en juin et juillet, et le second dans une optique nouvelle, ayant ces dernières années surtout interprété Malatesta. Tout pousse à croire que ce dernier, sous les traits de Lionel Lhote puis de Rodion Pogossov, fera des étincelles avec la Norina de Danielle de Niese ou d’Anne-Catherine Gillet.

Si le jeu passait par la construction collective, il aurait la forme du dernier opéra de Janáček, De la maison des morts. On a déjà pu découvrir la nouvelle production de Krzysztof Warlikowski ce mois-ci à la Royal Opera House. En attendant de l’applaudir à l’Opéra de Lyon en 2019, elle sera présentée à Bruxelles en novembre dans une distribution quasi-identique à celle de Londres, hormis les rôles de Šiškov et de Čekunov, endossés ici par Pavlo Hunka et Ivan Ludlow. Dans la fosse, la directrice musicale du City of Birmingham Symphony Orchestra, Mirga Gražinytė-Tyla, fera ses débuts à la Monnaie. Le ténor Nicky Spence et la basse Alexander Vassiliev, piliers de la production, prendront également part à un Te Deum de Bruckner élancé par Harmut Haenchen.

La saison s’achèvera sur trois productions maison. D’abord, Frankenstein entrera au panthéon lyrique grâce à la création mondiale du premier opéra du minimaliste Mark Grey, repoussée depuis trois saisons déjà. Dans un futur technologique imaginé par Àlex Ollé (déjà aux commandes du Grand macabre en 2009 et d’Œdipe en 2011), main dans la main avec la librettiste Júlia Canosa i Serra, le corps de la créature (interprétée par le ténor Lupi Lehtipuu) est retrouvé ; s’ensuivra l’avancée des recherches sur sa conception et sa condition humaine. Outre le Docteur Frankenstein de Scott Hendricks, l’œuvre réunira Eleonore Marguerre, Andrew Shroeder, Christopher Gillet, le baryton Stephan Loges et la soprane Hendrickje van Kerckhove. Bassem Akiki, qui avait débuté sa carrière comme assistant au Théâtre royal, tiendra la baguette lors de cet événement.

Les sculptures brutes d’Alexander Polzin sur la scène de la Monnaie pour Aïda en mai dernier avaient fait ressortir l’âpreté de la partition de Verdi. Il collabore deux ans plus tard avec le jeune cinéaste Ralf Pleger sur une nouvelle production de Tristan et Isolde. Les amants Christopher Ventris et Petra Lang (ou Bryan Register et Ann Petersen selon les dates) vivront cet amour intériorisé avec une distribution tout aussi impressionnante : Nora Gubisch ou Eve-Maud Hubeaux, Franz-Josef Selig et Andrew Foster-Williams !

Enfin, Le Conte du Tsar Saltan, de Rimski-Korsakov, donnera le pouvoir à Dmitri Tcherniakov d’utiliser toutes les techniques de la scène pour illustrer un conte vivant, après son remarqué Trouvère en 2012. Le spectacle n’a pas été présenté depuis près d’un siècle à la Monnaie et verra s’enchaîner les aventures du petit tsar (le ténor Bogdan Volkov), abandonné par ses parents (Ante Jerkunica et Svetlana Aksenova) à la naissance, et qui tombe amoureux d’une femme prisonnière d’un corps de cygne (Olga Kulchinska).

La mise en scène, oui, mais la mise en espace aussi, pour The Rake’s Progress, où la soprane Barbara Hannigan dirigera son orchestre Ludwig (cela signera ses débuts en fosse). Cette production est le fruit d’une collaboration avec les chœurs des Conservatoires de Belgique. N’oublions pas la version de concert de Robert le Diable, de Giacomo Meyerbeer, pacte démoniaque à l’affiche alléchante qui suscitera sans doute autant d’engouement au Palais des Beaux-Arts qu’à sa création en 1831 : Lisette Oropesa  sera entourée de Dmitry Korchak, Nicolas Courjal, Patrick Bolleire et Julien Dran, sous la baguette d’Evelino Pidò.

Les récitals feront voyager dans l’Italie fantasmée de Hugo Wolf avec l’Italienisches Liederbuch, chanté par Anke Vondung et Werner Güra, l’Allemagne des lieder de Beethoven et Schumann (Mark Padmore), l’univers de Shakespeare (Anne Sofie von Otter), la France XIXe-XXe (la mezzo Michèle Losier et la soprane Véronique Gens) et l’Europe de l’Est avec Magdalena Kožená, sans oublier l’opéra italien aux côtés d’Anna Caterina Antonacci.

Toujours soucieuse de nouer des partenariats pérennes avec les institutions bruxelloises, la Monnaie programmera au KVS (Théâtre royal flamand) L’Homme de la Mancha, comédie musicale sur Don Quichotte (que notre chroniqueur Emmanuel Andrieu avait pu voir dans une autre scénographie à Avignon en 2015), ainsi que Sylvia, opéra pop sur la poétesse Sylvia Plath, au Théâtre national. La Salle Malibran accueillera quant à elle Push, œuvre lyrique de 2016 plongeant dans l’enfer de la Shoah, dans un projet incluant professionnels et amateurs, et dirigée par son compositeur Howard Moody.

Voilà donc une brochette plus qu’à propos, dont on trouve le détail sur le site de l'établissement belge, dans un équilibre entre grands noms et étoiles montantes, avec des metteurs en scène prestigieux et toujours imprévisibles. Le répertoire hors des sentiers battus, de la fin du XVIIIe à aujourd’hui, sait piocher là où il faut, sans élitisme. Faites vos jeux !

Thibault Vicq

crédit photo : © T. Brinkmann

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