Des Dialogues des carmélites d'anthologie au Théâtre Royal de La Monnaie de Bruxelles

Xl_dialoguues © Baus

Un choc, c'est bien un choc que l’on a ressenti au sortir du Théâtre Royal de La Monnaie de Bruxelles qui donnait – avec une double distribution et dans une production que l’on qualifiera d'anthologique – Dialogues des Carmélites de Francis Poulenc. Grâces soient donc ici rendues au maître des lieux, Peter De Caluwé, et à Christophe Bezzone (son directeur-adjoint pour l’artistique), qui ont su réunir une équipe de rêve capable de porter au firmament cette œuvre magistrale. En réunissant un chef tel qu’Alain Altinoglu (directeur musical de la maison), un metteur en scène de la trempe d’Olivier Py (qui avait signé cette production pour le TCE en 2013) et un plateau de chanteurs frôlant l'idéal, la réussite ne pouvait qu’être au rendez-vous.  

Entièrement francophone, la distribution vocale fait preuve d’une prosodie parfaitement soignée. Car on le sait, la qualité de la prononciation est un aspect essentiel dans les Dialogues, et Poulenc a accordé, de son propre aveu, « une importance primordiale à la justesse et au naturel de la déclamation », le débit souple et mélodique des chanteurs devant rester très près de l’intonation parlée. C’est ainsi que l’audience peut suivre le débat sur la communion des saints et le transfert de la grâce qui est au cœur de l’intrigue, elle-même inspirée d’un épisode historique réel dont George Bernanos, le librettiste, s’est saisi pour son drame : la persécution subie par les religieuses du carmel de Compiègne pendant la Révolution française.

Patricia Petibon incarne une bouleversante Blanche de la Force, et parvient à traduire, jusque dans ses gestes, les peurs et les névroses de la jeune aristocrate, tandis que la voix éblouit par la beauté intrinsèque du timbre, la variété de ses couleurs et son excellente projection. Sandrine Piau semble avoir fait sien le rôle de Sœur Constance, auquel elle donne toute sa sensibilité musicale, sa précision et sa fraîcheur vocale. Grande habituée du rôle, Sylvie Brunet-Grupposo compose une saisissante Madame de Croissy, éclatante et hallucinée, dont les écorchures du timbre servent parfaitement le personnage. Sa scène de la mort, d’une intensité dramatique inouïe, est un grandiose moment de théâtre. De son côté, Véronique Gens campe, avec tout l’aplomb requis ici, la maternelle et terrestre Madame Lidoine, toute en humanité et commisération. En Mère Marie, Sophie Koch convainc également car elle en possède toutes les capacités vocales : l’aplomb, la détermination, la rigidité. Mais le cast masculin s’avère tout aussi luxueux avec un Chevalier de la Force confié à un Stanislas de Barbeyrac qui, on le sait, dispose d'un très beau matériau alliant beauté du timbre et élégance du style. En Marquis de la Force, Nicolas Cavallier fait grand effet, autant par son chant que par son jeu : il incarne ainsi son personnage avec toute la morgue qui sied à ce grand aristocrate. Soulignons enfin la bonne tenue de Guy de Mey dans le rôle de l’aumônier, tandis que Nabil Suliman fait preuve de toute la rudesse requise par celui du Geôlier.

Après avoir signé in loco de spectaculaires Huguenots de Meyerbeer il y a quelques saisons (mais aussi Hamlet d’Ambroise Thomas), Olivier Py compose à nouveau – accompagné du fidèle Pierre-André Weitz – un spectacle de haute volée à La Monnaie. En dépouillant à l’extrême l’espace scénique, en bannissant quasiment tout artifice (hors la saisissante scène de la mort de la Première Prieure qui expire sur un lit placé à la verticale et en hauteur !), en jouant presque exclusivement sur l’alternance ombre/lumière dans un camaïeu de gris, de blanc et de noir, les teintes fétiches du metteur en scène, Py souhaite visiblement que le spectateur s’engage et réfléchisse à sa propre condition, à ses propres angoisses, et à sa propre finitude... c’est-à-dire aux vrais enjeux de la pièce de Bernanos. Le fameux épilogue, l’un des plus poignants de toute l’histoire de l’art lyrique, est magistralement traité par Py : quand la terrible guillotine s'abat, nulle débauche de moyens non plus, mais un ciel parsemé d’étoiles dans lequel les martyres viennent disparaître, en s'y incorporant, les unes après les autres…

La direction d’Alain Altinoglu n’est pas le moindre des bonheurs du spectacle, qui joue la carte d'une certaine tradition française, faite de souplesse et de limpidité, voire de sensualité, ce qui n'empêche pas le chef français, quand la partition l'exige, d'insuffler une vraie tension dramatique ainsi qu'une inexorable théâtralité, à la partition de Poulenc. Et s'il prend parfois quelques libertés avec les tempi, c'est pour mieux susciter l'émotion et souligner à quel point cette musique est, avant tout, pétrie de spiritualité.

Emmanuel Andrieu

Dialogues des carmélites de Francis Poulenc au Théâtre Royal de La Monnaie de Bruxelles (décembre 2017)

Crédit photographique © Baus
 

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