5 questions à Amélie Robins

Xl_am_lie_robins__c__alexandre_faucheur © Eric Ottino

                 
A défaut de l’entendre en live dans le rôle-titre de La Dame blanche à l’Opéra Nice Côte d'azur, dont les représentations devaient débuter ces jours prochains, c’est par l’intermédiaire d’une captation vidéo bientôt mise en ligne sur le site de l’Opéra que nous pourrons entendre la jeune et enthousiasmante soprano française Amélie Robins. Sa double prestation estivale, d’abord dans Rigoletto (rôle de Gilda) au Festival Durance Luberon puis au fameux Musiques en Fête des Chorégies d’Orange, nous avait en effet particulièrement impressionnés. Il était temps pour Opera-Online de lui tendre son micro…                      

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Opera-Online : Pourquoi le chant lyrique ?

Amélie Robins: Le mot est peut-être mal choisi pour la période, mais je l’ai attrapé comme un virus ! (rires) J’ai grandi à Montfermeil, en Seine Saint-Denis, et n’avais aucune connaissance de l’opéra ni du chant lyrique jusqu’à ma rencontre avec ma professeure de musique au collège Jean-Jaurès, Anne-Marie Jouanny, qui nous faisait découvrir tous les styles musicaux, allant de l’Art africain à l’Opéra, elle-même ancienne chanteuse de l’Ecole de l’Opéra de Paris. J’ai alors tenté de l’imiter en m’amusant comme font les adolescents, mais elle a entendu quelque chose et ne m’a plus jamais lâchée... Tous les ans, nous avions la chance extraordinaire de pouvoir créer entièrement des spectacles avec notre équipe d’enseignants surinvestis, en passant de l’écriture du livret, aux paroles, à la musique, jusqu’aux danses etc. C’est alors que cette professeure me donna mon tout premier rôle lyrique, celui de la méchante épouse bafouée dans Les Contes des 1001 nuits de Shéhérazade. J’ai été piquée, et depuis je n’ai plus quitté la scène, j’avais treize ans.
Elle m’a ensuite poussée au Conservatoire tout en me suivant, et aujourd’hui nous sommes de grandes amies et continuons de chanter ensemble, j’interviens parfois dans ses classes... je lui dois tant ! Par mon histoire, j’attire l’attention sur l’importance de l’enseignement artistique dans les écoles : rien que pour ma génération, nous sommes plus d’une dizaine de gamins issus de zone ZEP à avoir développé une carrière artistique (dans différents domaines) grâce à cette rencontre. De quoi faire réfléchir...

Trois de vos quatre principales productions depuis avril dernier ont été annulées, comme ce mois-ci La Dame blanche (rôle principal) à l’Opéra de Nice. Comment le vivez-vous ?

Moi qui suis toujours très positive, je vous avoue que mon optimisme a été mis à rude épreuve ! Ce n’est vraiment pas évident... La scène me/nous manque énormément. Je suis d’habitude tout le temps « sur les routes » comme on dit, et ce rythme au ralenti est complètement nouveau pour moi.
Au premier confinement on a tous pris sur nous, nous étions tous choqués de devoir annuler nos productions, mais nous nous disions que c’était temporaire et que c’était pour la bonne cause. J’ai d’abord eu un mois d’inertie totale pour réaliser, comme beaucoup de mes amis collègues. Ensuite j’ai eu besoin d’utiliser - comme un besoin vital - ce temps qui nous était imposé pour approfondir ma technique avec ma professeure de chant Anna-Maria Panzarella et mon travail musical avec ma cheffe de chant Marion Liotard, par l’intermédiaire de Skype, et aborder de nouveaux airs/rôles, préparer les prochains engagements tranquillement, rebondir...
Mais le plus dure moralement est arrivé après ce premier confinement : nous avançons dans l’inconnu, nous entendons ces mots de métiers « non-indispensables », alors que certains reprennent le travail, d’autres non... Annulation après annulation je me raccroche à ma prochaine production, me réinvestis dans les révisions et projets qui ont souvent été annulés au dernier moment, la veille parfois même de la première répétition (parfois même en plein milieu pour certains collègues). Ce qu’il faut savoir, c’est qu’un nouveau rôle c'est entre un et deux ans de préparation, à travailler techniquement avec son professeur tel un grand sportif, musicalement avec son pianiste chef de chant, des coachings de langue (donc aussi des frais personnels engagés…), à se projeter dans le rôle, s’y acharner puis le laisser mûrir, l’imaginer, s’y investir.
Lorsque le projet est reporté c’est un moindre mal, mais lorsqu’il est annulé définitivement, c’est encore plus douloureux à digérer. Le travail d’un rôle n’est jamais perdu, c’est vrai, mais nous perdons presque deux ans de nos carrières avec cette crise : pas d’auditions, des reports, des projets qui tombent à l’eau, les saisons qui se décalent jusqu’en 2023... Et pour la carrière d’un artiste, deux ans c’est énorme ! Attention je n’accuse pas les directeurs quand je dis cela, certains ont été exemplaires à nos côtés et ont fait de leur mieux pour nous soutenir.

Mais je retiendrai le positif de tout cela ; cette crise nous aura obligés à revenir à l’essence même de notre art : reprendre du plaisir à partager, simplement, prendre conscience de la chance que nous avons de vivre de notre passion. Je vis chaque moment sur scène comme si c’était le dernier... ou disons plutôt le premier ! Concernant La dame Blanche, nous avons l’immense chance d’être soutenus par un directeur, Bertrand Rossi, très désireux de jouer tant que c’est possible ! Au milieu donc de nos répétitions, nous avons appris que le spectacle ne pourrait pas se faire devant le public, mais il sera filmé et retransmis sur le site de l’Opéra de Nice. Le spectacle dans sa forme originelle étant repoussé à l’an prochain, la metteure en scène a fait le choix de ne pas « spoiler » la mise en scène, et nous avons alors tout réadapté pour une forme « semi-scénique », avec orchestre sur scène et sans décors. A l’arrivée, nous adorons cette adaptation et sommes très heureux de pouvoir partager bientôt ce moment avec vous !

La seule production rescapée est donc ce Rigoletto l’été dernier au Festival Durance Luberon. Quels souvenirs en gardez-vous ?

Un souvenir incroyable, une bouffée d’oxygène après six mois de silence, comme si on nous redonnait enfin la parole. Nous étions tous dans le même état : simplement heureux d’être là, ensemble, conscients de cette chance que nous avions de partager de la belle musique et de se faire plaisir, le stress habituel laissé de côté, retrouver un public qui était tellement en demande, l’ambiance était incroyablement chaleureuse lors de ces représentations !
J’ai pu réaborder ce rôle de Gilda, que j’aime tant et que j’avais déjà chanté une quinzaine de fois, mais cette-fois de façon différente, sans pression, avec juste le bonheur d’être là et de prendre plaisir à chanter. Ce Covid nous aura appris cette leçon et ce recul… à nous d’essayer de garder ces sensations pour la suite !

On se rappelle aussi, toujours cet été, de votre participation aux Chorégies d’Orange, et vous nous avez impressionnés dans deux arias de belcanto. Quelles sont vos affinités avec ce répertoire ?

J’adore ce répertoire. Le belcanto, c’est la santé vocale : la technique pure du chant à l’italienne, du souffle, de l’émission directe et du soutien sans faille, on ne peut pas tricher. C’est comme pour un grand sportif : ça demande beaucoup de préparation, d’entraînement, de discipline, de persévérance, mais une fois arrivé au bout du chemin c’est le graal ; le bonheur de se laisser aller dans cette ligne de chant souple et ces nuances infinies dans lesquelles on trouve une liberté acquise à force de travail, de traduire les émotions du personnage dans des vocalises acrobatiques et des notes aiguës en apothéose !
J’aime beaucoup revenir au belcanto après avoir chanté autre-chose, ça remet « dans le droit chemin », un peu comme avec Mozart - qui est d’ailleurs accepté comme compositeur belcantiste au Concours International de Belcanto Vincenzo Bellini.
Dans le belcanto j’aime beaucoup les rôles tels que celui d’Amina dans La Somnambule de Bellini, rôle aérien, avec sa ligne vocale et ses mélodies incroyables dans lesquelles on se laisse totalement aller... J’aime aussi particulièrement interpréter les rôles de femmes de caractère tels qu’Adina dans L'elixir d’amour, Norina dans Don Pasquale ou encore le rôle-titre de Rita de Donizetti : quel bonheur de traduire ces tempéraments explosifs dans les vocalises et à la beauté des lignes mélodiques de Donizetti. Tout est écrit, c’est totalement enivrant !

Comment envisagez-vous l’avenir ? Quels sont vos souhaits, pour vous-même, et pour l’univers lyrique en général ?

Je pense que d’une période difficile renaît toujours quelque-chose de positif. Je sais encore plus qu’avant que j’ai ce métier dans la peau, que je poursuivrai mon chemin sans rien lâcher. Ce métier est difficile, mais nous avons une grande chance : c’est notre passion ! Et cette crise me l’a rappelé comme une grande claque. Comme disait notre regretté Franck Ferrari : « Les échecs nous en avons tous, ce qui compte c’est de se relever et de ne rien lâcher ! ».
Je pense également que nous avons tous appris à nous « réinventer » et à nous découvrir créateurs de « système B » pour continuer à partager notre art. Les maisons d’opéras également se sont mises aux représentations en streaming, inenvisageable avant cela ! Alors évidemment, la vidéo ne doit pas et ne pourra jamais remplacer le spectacle vivant ! Mais si cela nous permet pour la suite de rendre la vidéo plus « banale » et d’ainsi partager beaucoup plus nos spectacles, contribuant ainsi à nos carrières, à mettre en lumière de nouveaux talents, à rendre l’opéra plus accessible, plus présent dans notre culture, ce serait une belle victoire...
J’ai également eu envie de me sentir utile à travers mon art après tout cela et d’arrêter de remettre les choses à plus tard, d’avoir plus confiance en moi pour lancer enfin plusieurs projets que j’avais en tête depuis trop longtemps, autant pour ma carière personnelle, que sur le plan de ma formation personnelle et humanitaire. C’est en cours, j’en parlerai prochainement sur les réseaux sociaux…
Nous avons appris une chose très forte avec cette crise, qui est notre capacité à nous réunir et à agir ! L’Association UNISSON s’est créée et nous avons enfin une structure qui nous représente et défend nos droits. Cette structure se développe et nous permet enfin aussi d’aborder des sujets sensibles liés à nos métiers, nos conditions de travail, et de ne plus être seuls en cas de conflits. C’est un pas énorme pour nos métiers, nous devons garder ce cap et ainsi améliorer le terrain pour nous mais aussi pour les nouvelles générations de chanteurs qui arrivent dans un milieu déjà compliqué, mais encore plus fortement impacté par cette crise.
Enfin, j’espère qu’après cette période nous continuerons à tendre la main, à nous unir et à nous remettre en question. Puis-je aussi espérer qu’un jour l’Etat se rende compte que l’Art est indispensable au bien-être et à la bonne santé mentale et économique d’une société… contribuant ainsi à l’amélioration de l’image des Intermittents du spectacle - qui ne sont pas, et même pas du tout, des fainéants payés à rester dans leur canapé !... (soupirs).


Propos recueillis en janvier 2021 par Emmanuel Andrieu

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