Le Dutch National Opera, tout sauf conventionnel en 2021-2022

Xl_nationale_opera___ballet_-_theaterzaal__c__ronald_tilleman © Nationale Opera & Ballet - Theaterzaal (c) Ronald Tilleman

En cette annonce de saison 2021-2022 de l'Opéra d'Amsterdam (Dutch National Opera), sa directrice Sophie de Lint donne le ton : « Plus que jamais, nous nous engageons à explorer l’urgence de l’opéra ». Aucune date exacte (ou même distribution exhaustive) n’est encore précisée pour les productions à partir du mois d’octobre. Cette fourchette estimative permettra une flexibilité de dernière minute pour remplacer des projets de grande envergure par des signatures plus expérimentales et facilement activables en cas d’imprévus. En tout cas, il s’agit là d’une programmation d’orfèvre, tant dans les formats que dans les sujets, tant dans les équipes artistiques que dans les collaborations internationales

Parmi les « recasés » de 20-21, citons Upload, de Michel van der Aa, qui ne sera plus une première mondiale, mais une création néerlandaise, réunissant comme prévu Roderick Williams et Julia Bullock autour de l’Ensemble MusikFabrik, dirigé par Otto Tausk. Nous aurons le plaisir de voir Anna Bolena, qui ouvrira la trilogie Tudor de Donizetti, dirigée par Enrique Mazzola et mise en scène par Jetske Mijnssen. Marina Rebeka et J’Nai Bridges interprèteront respectivement Anne Boleyn et Jane Seymour, face à Ismael Jordi et Evgeny Stavinsky. Au Palau de les Arts Reina Sofía s’est ajouté le Teatro San Carlo de Naples dans la liste des coproducteurs.

Lorenzo Viotti devient en septembre chef principal du Dutch National Opera et du Nederlands Philharmonisch Orkest. C’est pour lui aussi l’occasion d’entamer un cycle Puccini de trois ans sur une nouvelle production de Tosca – nous avons hâte, après l’avoir largement approuvé en situation dans Manon Lescaut à l’Oper Frankfurt en 2019. Barrie Kosky, aux manettes, souhaite en faire un « opéra noir », donnant rendez-vous à Malin Byström et Joshua Guerrero, sous l’oppression policière de Gevorg Hakobyan. Lorenzo Viotti commencera son mandat avec Le Nain de Zemlinsky, pour lequel la réalisatrice et metteuse en scène de théâtre Nanouk Leopold créera une confrontation entre les projections vidéo et le plateau vocal (Olga Kulchynska, Annette Dasch, Nicholas Brownlee, Clay Hilley). Quelques jours plus tard, il fusionnera le Chœur et neuf danseurs maison sur la rare Missa in tempore belli de Haydn, adjointe à la composition électronique de Janiv Oron. Dans ce singulier dialogue de groupe concocté par Barbara Horáková et le chorégraphe Juanjo Arqués, le ténor Mingjie Lei fera ses débuts au Dutch National Opera, aux côtés de Polly Leech.

Outre les trois étrennes de Lorenzo Viotti et les deux reports de 20-21, les nouvelles propositions scéniques ne manqueront pas. Commençons par Le Freischütz, en fin de saison dans les manifestations du Holland Festival. Le Royal Concertgebouw Orchestra, dirigé par Riccardo Minasi, mettra en mouvement le romantisme allemand, dont l’iconoclaste Kirill Serebrennikov réinventera sans aucun doute les enjeux. Suspense concernant la distribution, seuls Johanni van Oostrum (Agathe) et Benjamin Bruns (Max) ayant été annoncés pour le moment…

Trois créations mondiales se succèderont sur le mythe d’Orphée. En janvier, Le lacrime di Eros sera un pasticcio de musique florentine du début du XVIIe siècle (Caccini, Peri, Monteverdi…) et de compositions contemporaines de Scott Gibbon. La tracklist est laissée aux bons soins de Raphaël Pichon et de son ensemble Pygmalion, retrouvant l’esthète Romeo Castellucci après le triomphe du Requiem de Mozart au Festival d’Aix-en-Provence il y a deux ans. Étoiles visuelles alterneront avec les étoiles vocales que sont Huw Montague Rendall, Mariana Flores, Lucile Richardot, Zachary Wilder et Nahuel Di Pierro. Eurydice – Die Liebenden, de Manfred Trojahn, ouvrira l’Opera Forward Festival 2022 sous la supervision musicale d’Erik Nielsen, et verra Andrè Schuen et Julia Kleiter faire leurs débuts au Dutch National Opera en couple au regard interdit, rejoints par Thomas Oliemans et Katia Ledoux. Pierre Audi mettra en scène cette plongée aux enfers adaptée du célèbre mythe et des Sonnets à Orphée (1922) de l’écrivain autrichien Rainer Maria Rilke. Autre temps fort du festival de mars : Orphée | L’Amour | Eurydice, un opéra immersif pensé pour la réalité virtuelle, en collaboration avec l’artiste multifacette néerlandais Robin Coops et le pionnier de la VR Avinash Changa. Pour ce travail au long cours de WeMakeVR, de la M31 Foundation, du Nederlandse Reisopera  et d’Opera Zuid, le cadre est actuel : Orphée et Eurydice communiquent tous les deux indirectement via Amour, par SMS interposés…

L’innovation ne s’arrête pas en si bon chemin. Lisenka Heijboer Castañón et Manoj Kamps, qui avaient en un temps record monté la production scénique FAUST (working title) en septembre dernier, à la place de Mefistofele de Boito, reprendront du service, cette fois-ci avec l’Asko|Schönberg Ensemble. L’expérience devrait nous faire vivre une expérience de narration hors des sentiers battus ! N’oublions pas Denis & Katya, de Philip Venables et Ted Huffman – présenté en création française dans deux mois au Festival Radio France Occitanie Montpellier –, en compagnie des chanteurs du Dutch National Opera Studio et des musiciens du Residentie Orkest The Hague.

Trois classiques sont repris ou récupérés par l’institution amstellodamoise. La Traviata par Tatjana Gürbaca nous permettra d’entendre Mané Galoyan en Violetta et George Petean en Germont (direction musicale d’Andrea Battistoni). Le Don Giovanni de Claus Guth invitera Jérémie Rhorer ; sur scène apparaîtront Domen Križaj (rôle-titre), Adrian Sâmpetrean (Leporello), Rafał Siwek (Commandeur), Adela Zaharia (Anna), Long Long (Ottavio) et Amanda Majeski (Elvira). Le Rotterdam Philharmonic Orchestra viendra avec son chef principal Lahav Shani pour Salomé, dans la lecture d’Ivo van Hove. Jennifer Holloway demandera la tête de Brian Mulligan (Jochanaan, prise de rôle) à Thomas Blondelle.

Les opéras familiaux confirment leur vitalité, avec des coproductions prestigieuses. Kriebel et Goud! ont pu être sauvés du néant de la saison 20-21, A Song for the Moon aura droit à son public après sa création en ligne pendant l’Opera Forward Festival 2021, et Anansi convoque artistes nationaux et sud-africains pour questionner le passé colonial des Pays-Bas.

Enfin, une curiosité qui éveille la nôtre : le metteur en scène Christof Loy dévoilera son premier film, Springtime in Amsterdam, développé avec le Dutch National Opera. Bourgeons, canaux, chansons, airs, et chassés-croisés de quatre personnages (Annette Dasch, Thomas Oliemans, Theresa Kronthaler, Norman Reinhardt) coexisteront dans un univers coloré à la Jacques Demy... Amsterdam reste encore à la pointe, à l’aube d’un monde sans COVID !

Thibault Vicq

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