Verbier Festival : Renée Fleming modérément, Evgeny Kissin entièrement

Xl_dscf4813 © Thibault Vicq

La tournée européenne du duo de stars Renée Fleming-Evgeny Kissin avait été compromise cet hiver en raison d’une grippe du pianiste. Si le Musikeverein de Vienne et le Concertgebouw d’Amsterdam avaient pu lui trouver un remplaçant, le Théâtre des Champs-Élysées avait été contraint d’annuler la date parisienne. Raison de plus de se réjouir de ce concert au Verbier Festival, notamment après un bon rodage aux États-Unis en mai dernier. La précédente apparition de Kissin lors d’un récital de mélodies et de lieder dans les Alpes suisses – en 2019 avec Karita Mattila – n’ayant pas été très concluante, nous avions aussi besoin d’exorciser les démons… Schubert, Rachmaninoff, Liszt et Duparc se frayent un chemin dans un programme trilingue non exempt de qualités, mais souvent réticent à décoller à deux, bien que cela ne tienne qu’à peu de choses.

En récital, Renée Fleming possède aussi l’émission tendre, et ce timbre homogène, égal, et satiné de fleur éclose dont nous avons déjà pu nous délecter ces derniers mois dans les productions scéniques de The Hours au Metropolitan Opera et de Nixon in China à l’Opéra national de Paris. Elle réussit à en tirer le maximum dans Les Lilas et Un rêve de Rachmaninoff, où elle synthétise les composantes textuelle et musicale dans une matière mobile, au plus proche du son du piano. La ligne peut ainsi divaguer et s’envoler, puisque rien ne la retient dans la profondeur ou la largeur. La diction russe perfectible ne gêne en rien le développement des idées musicales, au contraire de l’articulation française en chewing-gum, qui la contraint dans la moindre phrase. La voix flanche un peu chez Duparc, et en voulant laisser éclater soudainement la puissance comme un bouquet final dans Le Manoir de Rosemonde, s’éloigne de tout sens logique. Elle opte pour un versant pleureur d’une autre époque dans un Oh, quand je dors (de Liszt) mollasson, par ailleurs pollué de ralentis hors de propos. Les lieder en allemand remplissent convenablement le contrat, quoique sans grande surprise. La chanteuse sait quoi faire et quand : du trop « écrit », trop « préparé », à l’instar d’un discours minutieusement articulé autour d’une check-list pour susciter les émotions à des moments précis. Sauf que les émotions sont peu présentes ce soir, et nous cherchons encore ce que Renée Fleming souhaitait nous raconter, dans cette trajectoire cousue de fil blanc à nuance quasi-unique taisant sa véritable intention.

Evgeny Kissin ne la met pourtant pas en danger. Le pianiste reste au service de la soprano, en prenant par ailleurs la responsabilité de la couleur dominante dans chaque mélodie. Il passionne dans Suleika (Schubert), gratifié d’un tapis de basse crépitante et de plusieurs niveaux géologiques de son. Rachmaninoff transforme l’artiste tantôt en joueur de cymbalum, avec des phrases exprimées par leur enveloppe et leur contenu, tantôt en accompagnateur adhérent parvenant à étaler les notes avec un minimum de pédale. Dans la Sérénade, tirée des Morceaux de Fantaisie op. 3, différents poids et touchers cohabitent au sein d’un seule main. Au piano seul, un extrait des Années de pèlerinage de Liszt le fait voyager et revenir grâce à l’espace entre les sons, à une lévitation empreinte de méditation, et à une illustration du tourbillon de la vie. Evgeny Kissin caresse et rêve avec le répertoire en français, pour lequel il apporte un souffle solidaire à sa partenaire de scène, dont il ne manquerait qu’à l’engagement interprétatif d’antan de se recharger pour toucher au cœur.

Thibault Vicq
(Verbier, 28 juillet 2023)

Le Verbier Festival (Suisse) continue jusqu’au 30 juillet 2023

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