La déception Nixon à l’Opéra de Paris

Xl_nixon-in-china_opera-de-paris_2023-007 © (c) Elisa Haberer

Cela faisait onze ans que Nixon in China n’avait pas été joué à Paris. Après la belle production mise en scène par Chen Shi-Zheng au Théâtre du Châtelet en 2012, l’opéra de John Adams faisait enfin son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris. Un honneur plus que mérité pour un ouvrage qui apparaît comme l’un des opéras les plus importants de ces cinquante dernières années (Nixon in China a été créé à Houston en 1987) et pour un compositeur qui a signé un chef-d’œuvre désormais joué sur les scènes du monde entier.

La critique que vous allez lire est très négative. Il nous faut préciser que la première du spectacle a été accueillie dans l’enthousiasme, le compositeur américain présent exceptionnellement à Paris recevant même une standing ovation du public. La plupart des grands quotidiens nationaux ont en outre unanimement salué la première. On ne peut cependant s’empêcher de citer le tweet de John Adams écrit à la suite de la représentation: “A colorful & aerobic "Nixon in China" with terrific singing & orchestra at Opera de Paris. What strikes me most though, is the wisdom & depth & humor & beauty of Alice Goodman's libretto. Is there a better libretto? Tell me” (Un "Nixon in China" coloré et aérobique avec des voix et un orchestre formidables à l'Opéra de Paris. Mais ce qui me frappe le plus, c'est la sagesse, la profondeur, l'humour et la beauté du livret d'Alice Goodman. Existe-t-il un meilleur livret ? Dites-moi). Sans tomber dans le procès d’intention, faut-il voir dans ces lignes où le compositeur met essentiellement en valeur sa librettiste, un désaveu de la production parisienne ?


Nixon in China (2023), Opéra de Paris (c) Elisa Haberer

Car en ce jour de deuxième représentation, quelle déception ! La mise en scène de Valentina Carrasco apparaît plate, illustrative et intellectuellement paresseuse. Plate car en dépit des moyens conséquents offerts par l’Opéra de Paris, la dramaturge argentine (ancienne membre de la troupe Fura dels Baus) parvient rarement à animer la scène. Qu’il s’agisse des monologues politiques du premier acte ou des visites de Pat Nixon au deuxième, Valentina Carrasco ne réussit guère à occuper l’espace de la scène qu’avec des anecdotes ou des plaisanteries répétitives (le mignon dragon chinois du deuxième acte ou les parties de ping-pong chorégraphiées qu’on regarde comme un match à Roland-Garros à la télé). Le troisième acte statique avec la musique sublime de John Adams (l’un des actes finaux les plus déceptifs de l’histoire de l’opéra à l’instar du cinquième acte de Pelléas et Mélisande de Debussy) entérine l’échec d’une soirée où les personnages sont réduits à des pantins sans chair.

Illustrative ensuite car le spectacle tire souvent vers la bande dessinée, façon Tintin à Pékin. Rien ne nous sera épargné : le dragon chinois, les gardes rouges marchant au pas militaire, le ping-pong comme nous le disions plus haut, avec ses batailles jeux de mains jeux de vilains dignes d’Astérix ou encore les globes terrestres manipulés à la manière du Dictateur de Chaplin. Certes, Nixon in China est un « opéra-actualité », genre qui fit florès dans les années 1980/90, mais c’est la gloire du livret d’Alice Goodman que de proposer une réflexion large et intemporelle sur la politique, l’individu et les idéologies, à la manière des meilleurs opéras de Verdi.

La mise en scène de Valentina Carrasco est enfin intellectuellement paresseuse, car justement le livret de Nixon tire vers une épure universelle de la politique. Certes, l’ouvrage a été écrit durant les années Reagan mais le livret présente une approche relativement équilibrée entre le capitalisme américain et le communisme chinois. Pourtant, Valentina Carrasco insiste rapidement sur les crimes horribles de la révolution culturelle maoïste de 1966, comme si les Chinois étaient des bad guys exotiques de BD. On aura ainsi droit à un autodafé de livres, ou à une projection interminable, après l’entracte, du documentaire de Murray Lerner De Mao à Mozart dans lequel un vieux professeur du conservatoire de Shanghaï décrit les tortures qu’il a subies par le gouvernement maoïste. Alors certes, tout cela est tragique mais ce n’est ni le sujet d’Adams le compositeur, ni celui de Goodman la librettiste, d’autant que la Chine de 2023 n’a plus rien à voir avec celle de 1966 ni même celle du Tiananmen de 1989. Ramener des souvenirs historiques vieux de plusieurs décennies, c’est faire plaisir à un public conquis d’avance politiquement et méconnaître le sens du livret.


Nixon in China (2023), Opéra de Paris (c) Elisa Haberer

Musicalement, la déception est également de mise. Certes, le chef Gustavo Dudamel produit visuellement de l’énergie mais le résultat sonore est souvent atone. L’Orchestre de l’Opéra de Paris connaît de nombreux décalages et n’embrase que rarement la scène. Vocalement, la prestigieuse distribution (légèrement sonorisée) s’en tire de façon correcte : prodigieux comédien, Thomas Hampson obtient les honneurs dans le rôle de Richard Nixon, même s’il compense sa partie par un parler/chanter virtuose. En Pat Nixon, Renée Fleming manque de projection, malgré sa voix de velours. Dans le rôle de la femme de Mao, Kathleen Kim ne parvient pas à faire oublier Sumi Jo au Châtelet en 2012, même si ses vocalises dans le troisième acte impressionnent par leur musicalité. Relativement engagés, John Matthew Myers en Mao et Xiaomeng Zhang en Chou En Lai (le premier ministre) ne brûlent guère les planches, alors que le Kissinger de Joshua Bloom réussit seul à remplir par sa voix le vaisseau de l’Opéra Bastille.

Une occasion manquée que ce Nixon in China à l’Opéra de Paris ? Reste un opéra magnifique à la progression étonnante (premier acte politique, deuxième acte lyrique et chorégraphique, troisième acte intime et dépouillé). Qu’on se le dise, par son livret complexe et sa musique inoubliable, l’opéra de John Adams n’a pas fini de fasciner le 21e siècle.

Laurent Vilarem
Paris, 29 mars 2023

Nixon in China à l'Opéra de Paris, du 25 mars au 16 avril 2023

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