« Perpetual Music » : Juan Diego Flórez articule un héroïque épilogue au Rossini Opera Festival

Xl_r_cital_rolex_pesaro_21_ao_t_2020 © (c) Thibiault Vicq

« perpetual music » un projet à l’initiative de

Rolex

Bien qu’amputé de plusieurs productions, le cru 2020 du Rossini Opera Festival de Pesaro reste un miraculé de la Covid-19. Un jour après sa clôture se tenait au Teatro Rossini un épilogue goûtu porté par la marque Rolex*. Il s’agissait là de la première partie de la trilogie de concerts « Perpetual Music », que le parcours mènera ensuite à la Staatsoper Unter den Linden (Berlin), puis au Palais Garnier. Ces soirées rendent compte du lien que Rolex tisse avec les artistes et les institutions culturelles, pour trois programmes distincts concoctées par les superstars « Témoignages » de la marque. Ainsi, même si le virus obère actuellement l’activité des salles de spectacles, la musique sonnera sans relâche ! À Pesaro, c’est Juan Diego Flórez qui s’y attelait, moins d’une semaine après son concert de raretés rossiniennes sur la Piazza del Popolo. Les onze chanteurs qu’il a réunis ont assurément le virus Rossini, si bien que les vocalises et les contre-ut affolent à raison l’applaudimètre.

Le ténor péruvien se jette à l’eau le premier avec « T’arrendi al mesto pianto », issue de La donna del lago. Il a cette fantastique manière d’étendre le moindre son en une histoire à part qui accepte tout allongement (en rythme !), que le suivant vient compléter en un récit plus poignant encore. La rondeur brillante se dispute à l’éclat émouvant, la voltige ne sacrifie en rien la fluidité du phrasé, tout se savoure. Dans la même œuvre, Eleonora Buratto jubile à bord d’un Rossini Express amoureux des turbulences, à savoir le finale d’Elena. La mission « vocalises » est victorieuse, non pas uniquement pour la restitution d’orfèvre qui fait entendre exactement toutes les portées noircies par le compositeur, mais pour les différents niveaux de profondeur dont elle imprègne l’air. Surlignées ou légèrement gommées, présentées en majesté ou de passage dans les flots vocaux, les notes acquièrent formes et vernis. Plus qu’une interprétation, c’est une magistrale réinterprétation.

Davide Luciano et Nicola Ulivieri n’ont pas eu besoin d’attendre bien longtemps pour reprendre les costumes de Figaro et Basilio qu’ils avaient occupés quelques jours plus tôt dans Le Barbier de Séville au Circo Massimo de Rome : paradis d’incarnation prosodique foulé par le premier (la diction intègre une seconde musique), concrétisation troublante des bruits de couloir dans l’air de la calomnie pour le second. Une autre preuve que la voix peut transformer la matière : le rubato de Mariangela Sicilia dans « Sombre forêt » (Guillaume Tell) fonctionne comme un ciment pour édifier l’armure de doute qui submerge Mathilde, et se mue en une ponctuation variée des émotions. On sent Marina Monzó nerveuse sur son air de La scala di seta (à vrai dire, le calage des tempi à l’orchestre est peu au point ici), alors que ses intentions de « dématérialiser » le son (comme le passage naturel des saisons) sont très honorables.

Dans Semiramide, Nino Machaidze prend le parti d’un « Bel raggio lunsinghier » incisif, exercice qu’elle tient jusqu’au bout avec poigne. Nahuel Di Pierro fait incroyablement sentir l’urgence de la métamorphose d’Assur vers la folie, en bouleversant et écorchant vif simultanément. Il travestit le langage pour laisser approcher l’épouvante imprégnant son personnage. Le théâtre naît de la voix, en témoigne le « pietà » répété inlassablement à la fin de l’air dans un kaléidoscope de couleurs sombres. Le grand air d’Armida est aux dimensions du talent de tragédienne de Karine Deshayes (qu’on a eu l'opportunité d’interviewer avant le concert) : quand l’expressivité pourrait culminer, la mezzo-soprano met la barre encore au-dessus, entre clarté insolente au milieu des vents contraires et vibrato osé au milieu des triolets. La netteté de Cecilia Molinari est elle aussi indéniable, mais la franchise de l’émission délaisse quelque peu les sentiments de la Cenerentola. En Ramiro, Pietro Adaíni fait du jaloux peu farouche (aux contre-ut étincelants et à la projection de diamant) un meilleur parti que l’amoureux un peu gauche.

Dans Le Voyage à Reims, Roberto Lorenzi jongle entre les accents truculents du « Don Profondo, Io ». Il chevauche royalement ses lignes, à l’instar du duo Juan Diego Flórez - Cecilia Molinari qui se complète à merveille. Le gala s’achève par le jubilatoire sextuor « Zitti. Non canta più », suivi de « Simbol di pace e gloria », repris en bis avec les six autres participants de la soirée : tous ne connaissent pas l’air, mais croisent leurs forces, notamment sur ce do majeur triomphant qui par son unisson finale de toniques en octaves assoit le prestige de cette troupe d’un soir.

L’Orchestra Sinfonica G.Rossini est fabuleux de précision et de créativité de timbres. Christopher Franklin le dirige en une somme de cercles qui reçoivent les projecteurs à des moments donnés. L’acoustique « spatialisée » (les instrumentistes jouent au parterre, tel que l’indiquait Emmanuel Andrieu dans sa chronique de La cambiale di matrimonio) accueille les souffles confortables des vents (mention spéciale aux superbes bassons) et les vitesses d’archet des cordes, qui ne surinterprètent nullement les accents. Le chef traite les répétitions rythmiques et harmoniques de la partition de Rossini comme une mayonnaise qui monte et fait graduellement épaissir l’excitation du public. Les crescendos immersifs font de cette musique un magma d’énergie qui prend de l’ampleur, qui emplit le corps des spectateurs sans discontinuer. Si bien qu’on sent physiquement l’envie de se lever, de danser, d’exprimer à haute voix toute cette accumulation explosive qui habite les loges…

Thibault Vicq
(Pesaro, 21 août 2020)

Replay disponible jusqu’au 21 septembre 2020 sur medici.tv

Crédit photo (c) Thibault Vicq

* Rolex est partenaire d’Opera Online

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