La rare Messa di Gloria de Rossini à La Seine Musicale

Xl_messa-di-gloria-speranza-scappucci-la-seine-musicale © (c) Acosta

Dans la trinité des œuvres liturgiques de Rossini, je demande le père : la Messa di Gloria, créée en 1820 à Naples alors que le compositeur est directeur musical du Teatro di San Carlo, est enracinée dans son savoir-faire de l’opera seria et de l’opera buffa, sur lesquels il n’a pas chômé les années précédentes. Après un saut de deux décennies se présentera un Stabat Mater (entendu en mai à la Philharmonie de Paris), et une étonnante Petit messe solennelle en 1864 (notamment offerte aux Musicales du Lubéron à l’été 2018). La musique religieuse selon Rossini est hors normes, et fait sienne l’expressivité des fresques d’églises plutôt que le cérémonial. Arias et cabalettes virtuoses, trouvailles orchestrales, existent pour l’absolu bonheur du spectateur. La Messa di Gloria n’a été reconstituée qu’à partir de la fin des années 1960 par le musicologue Philip Gossett, mais pourquoi diable est-elle aussi peu représentée ? On peut arguer de la difficulté de la partition, quoique les contre-ut donizettiens de La Fille du régiment sont inlassablement émis (voire bissés !) partout dans le monde…

Jack Swanson est justement spécialiste ès contre-ut, dont il tapisse en ondes marines son Gratias agimus tibi. Mousseux, duveteux et assuré, accompagné par un solo de cor anglais un peu frivole, le chanteur n’en perd nullement son latin mais reste cloisonné à une restitution scolaire qui, avec des efforts un iota plus passionnés, aurait prétendu à la lumière. Si l’entêtant Levy Sekgapane – premier prix du concours Operalia en 2017 – dispose d’une technique aussi experte, il nourrit ses émissions d’élans fruités, conquérants, et parfois vibés de musique populaire actuelle. Son Qui tollis d’enfer, ferme et doux, projeté et phrasé, fait figure d’exemplarité. Mirco Palazzi ne bouclera pas le saint triangle masculin : la maladroite basse use jusqu’à la corde son superbe timbre et met en avant ses graves ronds pour masquer les effets et ornements. Les rythmes se diluent et la justesse laisse à désirer. Ève-Maud Hubeaux, qui vient de terminer Don Carlos à l’Opéra de Paris dans le rôle de Thibault, englobe ici des lignes à la fine cohésion, tout en adresse et en présence vocale. La soprano Jessica Pratt a la même souplesse que nous lui avons remarquée récemment dans Les Puritains à Marseille. Telle une crème brûlée à la coque de dragée, elle libère une fraîcheur et du fondant comme dans un sixième sens omniscient de ce qui va arriver. Le seul point noir de sa prestation se situe au niveau de grupettos inaudibles, plus proches d’un vibrato mal aiguisé que de décorations mélodiques.

Le chœur accentus, préparé sans faille par Edward Ananian-Cooper, constitue comme souvent une valeur sûre. Il faut l’entendre pour le croire : une sublime horizontalité sans résonance inutile, une émotion venant de l’intérieur, à l’instar d’une bulle d’énergie en pleine formation. Ces voix sont sous le coup du destin, des nuages noirs qui passent, puis une constellation de vies de l’au-delà. La fugue du Cum sancto spiriti est rondement menée, et c’est l’Insula orchestra qui freine considérablement l’ensemble. La direction de Speranza Scappucci est pourtant précise, et respectueuse de la lettre. Des nœuds de basses aux accompagnements joueurs, le génie de Pesaro est à la fête. La cheffe accorde les couleurs de timbres au temps qui défile, au tragique passager, à cet état intermédiaire entre la religiosité et le lyrisme, sans pourtant créer une fusion complète. Les instrumentistes remplissent assez correctement le contrat, même s’ils n’en font qu’à leur tête en boudant les piano demandés par Speranza Scappucci ou la subtilité du son. La paternité musicale, puis le silence : l’histoire de la vie de Rossini permet une lecture alternative de cette Messa di Gloria, célébrant la joie de l’instant et les lendemains incertains.

Thibault Vicq
(Boulogne-Billancourt, 29 novembre 2019)

Crédit photo : Acosta

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