Un Stabat Mater de Rossini à cœur ouvert, à la Philharmonie de Paris

Xl_dscf0506 © (c) Thibault Vicq

Tout le monde se lève pour la Vierge des douleurs, deux jours après la fête des mères ! Rossini avait un faible pour le divertissement, et son Stabat Mater ne fait pas exception à la règle : pour une œuvre religieuse, l’opéra est partout, de l’étonnante orchestration jusqu’à la progression dramatique. Alors que le texte revêt sûrement moins d’importance que la projection émotionnelle, la structure séculière en airs est parfois rattrapée par la forme traditionnelle a cappella et par du contrepoint renversant.

L’Orchestre de chambre de Paris n’avait pas fait pleinement notre bonheur vendredi dernier dans le programme « Celtic Songs » à la Cité de la musique, mais ce soir, c’est l’extase sous la direction de Domingo Hindoyan, dans la Grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris. Le chef orne d’une splendide étoffe musicale les stigmates de sang et de larmes remémorés par les instrumentistes. Ces derniers, en forme olympique, trouvent le jeu le plus adéquat pour restituer les forces venant de la surface de la terre. La tragédie se déroule dans un son aux bords enroulés, sans début et sans fin délimités. Même les passages mesurés, comme les battements de cœur du Quartetto, jouent une tragédie alternative : celle de la pesanteur du corps, de la lourdeur de la chair face à la mort. La baguette de Domingo Hindoyan est l’épicentre de brillants trucages d’arrière-scène. Le Stabat Mater est interprété telle une pièce dont nous assisterions à la création depuis les coulisses, avec son lot de décors vus de dos et sa machinerie à portée de main. On nous fournit toutes les clés du tour de passe-passe, et le résultat s’avère d’autant plus admirable que rien ne cherche à créer l’illusion du théâtre. La mise en abîme de l’acteur en action à travers un orchestre d’une souplesse infinie et pris d’accès de fureur, constitue le pari fou et gagnant de la soirée. Il n’y a qu’à citer en exemple l’articulation piquée-lourée du Finale, donnant du relief à l’imposant fugato.

Les quatre solistes incarnent les personnages dans ce qu’ils possèdent de plus sensible, de plus rubato, et se divertissent à s’échanger les facettes des figures respectives qu’ils incarnent. Rien n’arrache la mezzo Chiara Amarù de son magnétisme monolithique. Les attaques mises en évidence soulignent d’abord une émotion sur la défensive, qui s’ouvrira en legato étiré jusqu’au sublime dans un souffle qui abasourdit. La substance du rôle imprègne son corps comme une seconde peau dans des reflets irisés. Sonya Yoncheva illustre une grande extraversion et une frontalité vis-à-vis de sa restitution chantée. Les phrases sont agrémentées d’une panoplie d’acrobaties fougueuses et fluides, qui rendent l’écoute passionnante. La facilité de la voix nous agrippe à ses côtés, mais nous pourrions par moments lui reprocher de surinterpréter ses aigus, trop sonores, ou trop peu corrélés musicalement à ce qui les précède. Le ténor Celso Albelo suit une ligne sucrée et limpide, aidé d’un soutien vocal imparable. Quelques respirations saccadées dans son Aria et des fins de phrases parfois abruptes brisent les fondations de son chant serein, sans toutefois ternir l’immense qualité d’émission. Si le quatuor a cappella voit sa justesse baisser légèrement, son camarade Roberto Tagliavini lui apporte une incroyable stabilité, tant dans la noblesse de projection que dans la pureté du souffle. La basse passe l’examen du soldat vaniteux ou de l’amoureux ivre de désir avec la même verve. Quand l’orchestre gronde et exprime un mouvement en plusieurs dimensions, elle résiste à l’envie de s’extirper des profondeurs et demeure fidèle à un ancrage insolent, particulièrement grisant. Le Chœur de Radio France consolide surtout ses atouts dans les grands tutti, les parties plus tranquilles révélant moins d’assurance dans les départs. Une fois le rythme de croisière atteint, l’homogénéité est de rigueur et le groupe l’emporte.

Cette grande famille est ainsi à l’origine d’un concert hors-normes, au service d’une des dernières œuvres de Rossini, magnifiquement servie dans son jus hybride à la croisée des inspirations.

Thibault Vicq
(Paris, le 28 mai 2019)

Crédit photo (c) Thibault Vicq

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