La Flûte enchantée à l’Opéra Bastille : la flamme et l’étendue énigmatique

Xl_svetlana_loboff___opera_national_de_paris-la-flute-enchantee-18.19--c--svetlana-loboff---onp--21--1600px © Svetlana Loboff - Opéra national de Paris

 


La Flûte enchantée © Svetlana Loboff - Opéra national de Paris

Deuxième reprise d’une production de Robert Carsen à l’Opéra national de Paris cette saison (après Rusalka, en février), cette Flûte enchantée est devenue un classique depuis sa création en 2013.

La forêt évoque la rencontre et le lien, les passages souterrains et les grottes obscures. La lumière d’entre les arbres et au sommet de longues échelles paraît inatteignable. La Mort est un petit poucet qui a semé ses cailloux tout au long du chemin. Le parcours initiatique de Tamino, Pamina et Papageno suit son cours, au milieu des tombeaux et de la terre battue, croisant les silhouettes de veuves voilées et d’ouvriers de noircis par le travail. Dans cet univers suffocant, où peu de personnages montrent leur (vrai) visage, rien ne peut annoncer le triomphe final de la sagesse, représenté par une « soirée blanche ». Robert Carsen évite la caricature de l’opposition Sarastro / Reine de la nuit pour plutôt créer une mythologie partagée du destin, cherchant à embrasser l’œuvre davantage dans sa globalité que dans son avancée linéaire. Point d’excès de mysticisme, de symboles ou de revendications sous sa lecture, élégamment relevée de trouvailles visuelles inspirantes qui ne donnent cependant pas une lisibilité complète aux incohérences du livret.


La Flûte enchantée© Svetlana Loboff - Opéra national de Paris

La Flûte enchantée© Svetlana Loboff - Opéra national de Paris

En 2019, la distribution suit les traces victorieuses du casting français gourmet qui était proposé au public de la Bastille en 2017 dans cette mise en scène. Florian Sempey incarne une nouvelle fois son Papageno randonneur avec une joie intacte et un phrasé à la folie, en plus de se hisser à une prestation scénique de feu. Il accorde à l’oiseleur les épithètes les plus emballantes dans une jolie complémentarité entre chant et théâtre. Julien Behr offre à Tamino une prosodie mûrement réfléchie, nappée d’aigus exquis au sein d’un timbre noble qui s’aide du cœur du son pour bourgeonner en magnifiques pétales. Sa détermination passe par un arsenal de nuances qui vivent l’instant présent avec aisance. Encore un succès, donc, après son Rake’s Progress niçois au mois de mars ! Le Sarastro de Nicolas Testé pulvérise les compteurs en servant formidablement la musique de Mozart : la netteté est de mise, le relief se dessine en couleurs pures se ramifiant à l’envi en une palette d’intentions hautement cohérentes. Il passe outre l’apparente simplicité de la ligne mélodique pour composer une restitution éclairée. Pamina peut compter sur l’habileté de Vannina Santoni : la soprane corse fait se fondre les notes dans une savoureuse atmosphère feutrée, le medium charnu s’épanouit de lyrisme, les appuis rebondissent, la projection ne souffre aucun impair. Il ne manque plus qu’une justesse rigoureuse et une diction intelligible pour procurer entière satisfaction. Mathias Vidal campe un Monostatos terrifiant. Intense et détestable, poignant et obsessionnel, le numéro d’acteur et de soliste vocal est une franche réussite.

Si Jodie Devos connaît bien la partition de la Reine de la nuit, pour l’avoir notamment chantée à la Monnaie et à l’Opéra de Limoges, ce n’est pas l’impression qui se dégage après l’avoir entendue ce soir. Vibrato de rouille, raideur d’exécution et imprécisions ne font pas justice à cette artiste pourtant attachante. Les Trois Femmes de Chiara Skerath, Julie Robard-Gendre et Élodie Méchain plaisent sans compter et les Trois Garçons se révèlent d’une belle unité. La Papagena féline de Chloé Briot vient se rallier à la qualité du casting, tout comme les habiles Chœurs de l’Opéra national de Paris. Henrik Nánási dirige l’Orchestre de la maison dans l’apparat mesuré. L’ouverture dénuée de rythme laisse ensuite place à de superbes équilibres baignant le récit de profondeur métaphysique. La discrétion couronne justement cette interprétation, sans pour autant annihiler son propos. Les incertitudes du livret planent ainsi à travers la musique instrumentale. Le mystère du Singspiel de Mozart a de beaux jours devant lui.

Thibault Vicq
(Paris, le 30 avril 2019)

Jusqu’au 15 juin 2019 à l’Opéra national de Paris Bastille

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