Julie Fuchs à l’Opéra Royal de Versailles : le naturel et la surface

Xl_dscf1030 © (c) Thibault Vicq

Mademoiselle, le deuxième album de Julie Fuchs sorti en février dernier, attestait une volonté d’étendre un champ de compétences bel canto, principalement chez Rossini et Donizetti, qu’elle avait déjà fort bien défendu dans Le Comte Ory à l’Opéra Comique et La Fille du régiment à Lausanne. Pour accompagner la promotion du disque, un concert de tournée à la Cité de la musique s’est tenu en mars, puis un autre est passé au Grand Théâtre de Provence. Est venu le tour de Copenhague, samedi dernier, avant que ne s’achève le pèlerinage ce soir à l’Opéra Royal de Versailles. Cette quatrième date présente un capital sympathie certain, mais si l’interprétation vocale reste souvent plus qu’honnête, les rôles n’enflamment jamais complètement.

Alors certes, nous retrouvons Julie Fuchs vitalisante dans son approche des ornements : elle fait une funambule de style dans « En proie à la tristesse », et titille agréablement la vue et l’ouïe grâce à un jeu scénique qui s’intègre à une restitution enlevée. La dévotion du staccato ne se fait pas prier : les notes de cet air sont finement piochées dans tous les registres, témoignant d’une maîtrise technique imparable et d’une imprégnation du  personnage. Elle se délecte de certaines phrases, plus emphatiques, pour mieux reprendre sa course folle ensuite. Pour le reste, la démonstration ne perd jamais en fluidité, quoique le résultat paraît plutôt sage, en dépit d’un intérêt indéniable des nuances. Le legato brioché d’ « Il faut partir » est lui aussi irrésistible, sauf que l’uniformité du développement vocal n’insuffle que peu de folie substantielle. Le premier extrait, tiré de Gli zingari de Vincenzo Fiaravanti, avec un célesta amoureux, est dans cette mouvance assez codifiée : agréable, aux confins du gourmet, sans pour autant oser franchir une ligne qui hisserait la performance vers des sillons plus personnels. La succession d’obstacles forme un frein à la délicatesse de l’air, de la même manière que la justesse légèrement en dessous. Nous sentons chez Pietro Raimondi un désir d’affranchissement, qui retombera chez Berlioz. « Por qué se oprime » est d’une beauté trop froide, dans un espagnol peu compréhensible et noyé dans des cadences en pilote automatique, comme si la voix, toujours très apte, avait momentanément perdu en souplesse.

Du côté de l’Orchestre national d’Île-de-France, le maestro Enrique Mazzola (qui a enregistré Mademoiselle et dirigé les trois précédents concerts) a laissé la baguette à Paolo Arrivabeni. L’élégance est à tous les étages, des murmures des accompagnements à l’expression assumée des solistes. L’ouverture de La Pie voleuse et du Barbier de Séville séduisent par leur soif d’amusement. D’autres opus célèbrent l’art du déguisement, et nous nous plaisons à entendre un schéma musical davantage axé sur l’articulation que sur la traditionnelle dichotomie piano / forte ou aigu / grave. La superposition des arpèges horizontaux et de l’altitude des accords crée également une palette radieuse. Une autre caractéristique savoureuse réside dans le gonflement des accords jusqu’à leur résolution discrète, aidé des excellents pupitres volontaires de l’ONDIF. Seul le hautbois n’est pas très en forme, ratant le départ de sa première intervention sur La Pie voleuse, et un peu trop haut par la suite.

L’inévitable bis revient sur Rossini : « Una voce poco fa » redouble d’applaudissements, comme la berceuse islandaise que la soprane interprète superbement ensuite, accompagnée dans la pénombre par l’orchestre devenu chœur.

Julie Fuchs est une “mademoiselle” déjà dame, et dont nous continuerons à suivre avec grand plaisir là où la mène sa curiosité créative.

Thibault Vicq
(Versailles, le 3 juillet 2019)

Crédit photo : (c) Thibault Vicq

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