Il signor Bruschino à l’abordage du Rossini Opera Festival de Pesaro

Xl_v12a3813-assieme-scaled © Rossini Opera Festival

En 2020, le Rossini Opera Festival revenait en quelque sorte aux sources avec une nouvelle production – la seule possible en cette « année zéro » – de La cambiale di matrimonio, première composition opératique de Rossini pour la scène. Il signor Bruschino, la cinquième et dernière farsa de Rossini pour Venise et l’une des trois productions inédites de ce cru 2021, nous raconte la suite de l’histoire du compositeur. Cette pièce en un acte a été commandée – parmi un lot de trois – par le programmateur du Teatro San Moisè à la suite du triomphe de L’inganno felice en janvier 1812. Certains prêtent le four de la création – il ne restera pas plus d’un soir à l’affiche –, un an plus tard, aux divergences entre le gérant expérimenté du théâtre et le jeune Rossini. D’aucuns soutiennent la thèse d’une vengeance de l’un (la commande d’un « mauvais livret ») et de l’autre (une musique insolente de « créateur » plutôt que de suivi strict du livret). Mais peut-être faut-il aller chercher du côté du public ou du personnel du théâtre de l’époque… Rossini se remettra vite sur pied, car son opera seria Tancredi connaîtra un triomphe une semaine plus tard à quelques centaines de mètres de là, au Teatro La Fenice.

La motivation du Cygne de Pesaro ne culminait certes pas pendant l’écriture, mais le résultat final sied à merveille à ce vaudeville très réussi. Florville se fait passer pour le fils Bruschino, auquel Sofia est promise contre son gré. À coups de fausses lettres auprès de Gaudenzio (tuteur de Sophie), de quiproquos avec le père Bruschino, de réclamation de dette par Filiberto, et de rivalités politiques, les deux amants Florville et Sophie parviennent à se marier. L’arrivée tardive du jeune Bruschino (le vrai !) n’y changera rien… les absents ont toujours tort !

Cette coproduction avec la Royal Opera House Muscat (Oman) et le Teatro Comunale di Bologna donne l’idée au duo Barbe & Doucet (le scénographe et costumier André Barbe, ainsi que le metteur en scène et chorégraphe Renaud Doucet) de transformer le château de Gaudenzio en un bateau, nommé « Il mio castello ». Une simple formalité, qui fait cependant souffler un vent d’aventure un peu exotique sur l’œuvre. La cale à surprises, le canot tangueur et le quai du port délimitent les espaces dans ce beau décor unique, où le théâtre de gestes fonctionne efficacement dans des lumières bien découpées, quoique peu variées. La surprise et la fantaisie servies ici sur un plateau sont ni plus ni moins ce qu’on attend d’un opus comme celui-ci.

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La récolte des talents comiques est excellente. Le truculent senior Bruschino de Pietro Spagnoli fait le spectacle presque à lui seul. La voix surmonte tous les obstacles avec beaucoup de cran et de drôlerie, car le théâtre est indissociable du chant, dans un plaisir manifeste de jeu. La soprano Marina Monzó, rossinienne accomplie, exulte elle aussi dans le rôle de Sofia, sur tous les fronts. Les récitatifs croqués à pleines dents s’intercalent entre des arie dominées par un vibrato truffé, des ornements hilares et des lignes libres et ténues aux états chatoyants. Le ténor étasunien Jack Swanson campe un Florville rêveur et souple à l’extrême, qu’aucun intervalle ne terrifie. Une rigueur rythmique plus marquée le fera devenir une locomotive ! Si les frayeurs de justesse du premier air de Giorgio Caoduro (Gaudenzio) sont progressivement infirmées au fil de la représentation, la musicalité demeure aux abonnés absents. La bienveillance de Chiara Tirotta, le noble timbre de Gianluca Margheri et la malice d’Enrico Iviglia sont à créditer parmi les seconds rôles.

Dans la fosse – qui est en fait le parterre du Teatro Rossini –, Michele Spotti figure en sons l’accélération du temps qui passe. L’exagération des phrasés écrits, voire l’élongation des résonances de cordes, fait entrer dans le noyau dur de la partition et rend haletante cette course contre la montre. Les quelques maladresses de la Filarmonica Gioachino Rossini, piles à propos dans la farsa, paraîtraient même géniales si elles étaient volontaires…

Les flibustiers de passage à Pesaro ou les écrevisses de plage trouveront forcément leur compte dans cette production toute fraîche de la criée opératique de Pesaro.

Thibault Vicq
(Pesaro, 7 août 2021)

Il signor Bruschino, de Gioachino Rossini, au Teatro Rossini (Pesaro) jusqu’au 18 août 2021

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