Giampaolo Bisanti triomphe d’une Sonnambula dansée à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège

Xl_ensemble___j._berger-orw-li_ge © J. Berger-ORW-Liège

La sonnambula n’est pas un opéra pour les amoureux des livrets, d’où la difficulté d’un mimétisme scénique au verbe. Or peut-on se suffire de musique pour en apprécier une représentation ? La question revient sur le tapis à l’occasion de la troisième mise en scène du cinéaste (entre autres) Jaco Van Dormael (ici avec sa compagne chorégraphe Michèle Anne De Mey) à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège.

La Somnambule - Opéra Royal de Wallonie-Liège (2023) (c) J. Berger-ORW-Liège

Un régal de fosse se fait sentir. Giampaolo Bisanti, directeur musical de la maison depuis le début de la saison, et l’Orchestre ont trouvé la complicité des grands projets. Le chef italien met exactement en pratique la science expérimentale de l’accompagnement bel canto, qu’il évoquait avec nous en interview au printemps dernier. Bellini devient à sa baguette un sport d’endurance, de checkpoints et de boucles. La stabilité des temps (et donc des contretemps) lui permet de remplir le volume là où il faut quand il faut. Il sait que ce Tetris de motifs ne se joue pas « tout seul » et nécessite un geste dramatique. Au début de chaque air, il expose le rythme qui en sera le moteur, puis y ajoute une articulation presque antithétique avec d’autres pupitres, et ainsi de suite jusqu’à trouver un melting pot idéal fort de transparences. Les instrumentistes dessinent une pureté de tutti et une sublime irréalité individuelle des timbres – quels bois, quels pizz ! – qui font entrer l’auditeur dans l’œil du cyclone, à la mesure des pyrotechnies vocales. Ces interventions changent perpétuellement le cours de la partition, comme en pâtisserie, où le mélange et la rotation créent une matière nouvelle. Autant dire que cette splendeur poétique illumine la soirée !

Nous restons dans le carton plein avec le ténor René Barbera, lumière extravertie colorant d’aigus miraculeux une vigoureuse ligne musicale, qui atteint des sommets de lyrisme et de clarté pour ses débuts à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège. Si Amina est l’un des rôles-phares de Jessica Pratt, la soprano semble pourtant loin de nous pendant la représentation. Son chant se résume à un catalogue de belles nuances et de textures cristallines, faisant de ses arias successives des objets de musée inanimés. Et quand arrive l’a cappella, la tonalité dévie… C’est paradoxalement dans les scènes de somnambulisme qu’elle montre de quoi elle est vraiment capable. « Bouger aide à mieux chanter, » nous a dit Marina Monzó quand nous l’avons rencontrée en août 2021. La soprano espagnole compense le manque de mouvements qui lui sont demandés sur scène par une surémission un peu tendue, qui malgré une manifeste aisance technique, peine à atteindre l’homogénéité. À part dans les tenues, Julie Bailly est une solide Teresa, tandis qu’Ugo Rabec campe un fiable Alessio. Les Chœurs, assis de bout en bout à jardin et à cour, sont heureux de sortir de leur passivité imposée avec une unité bien posée.

La Somnambule - Opéra Royal de Wallonie-Liège (2023) (c) J. Berger-ORW-Liège

Passée la sidération devant une direction d’acteurs rachitique, nous commençons à vivre un peu mieux personnellement la mise en scène du tandem dès que nous acceptons qu’il s’agit grosso modo d’une version de concert augmentée de chorégraphies (signées Michèle Anne De Mey). Sur un cadre central, neuf excellents danseurs filmés de face ou par-dessus « doublent » les chanteurs dans l’action. Le grand écran qui restitue leurs mouvements captés cannibalise alors le plateau vocal, laissé pour sa part à l’abandon. Au changement de perspective répétitif (où les danseurs, étendus au sol, avancent comme s’ils étaient debout), nous préférons le traitement en symétrie d’un trampoline au début du II, ou le pas de deux aérien sous une pleine lune dans « Ah! non credea mirarti ». Une telle lecture de La Somnambule voudrait se détourner d’une intrigue assez pauvre, mais se perd en prétendant remplacer ce que sont capables de produire artistiquement les chanteurs. Le meilleur remède contre la mise en scène soporifique est à chercher au niveau de l’orchestre, et l’œuvre marque encore une fois par l’agencement de ses mélodies dans les harmonies instrumentales.

Thibault Vicq
(Liège, 20 janvier 2023)

La sonnambula, de Vincenzo Bellini, à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège jusqu’au 28 janvier 2023, et en direct sur Musiq3, La Trois et medici.tv le 28 janvier

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