Au Verbier Festival, un gala lyrique bricolé mais de grande classe

Xl_20072021_bayankina_alvarez_maestri_combins_19h__luciengrandjean-16 © Lucien Grandjean

C’était une Fanciulla del West très attendue, mais la Covid ne l’a pas vu de cet œil. Plusieurs cas positifs au Verbier Festival Orchestra ont purement et simplement entraîné l’annulation de tous les concerts de la phalange symphonique du Verbier Festival, et donc cette version de concert (au même titre que le deuxième acte de Tristan et Isolde, le 23 juillet). Comme la veille avec Olga Peretyatko, c’est cette fois à la Salle des Combins que les grandes voix ont enthousiasmé un public (malheureusement) peu nombreux. Il ne faut pas chercher de fil rouge dans ce florilège shuffle d’airs franco-germano-russo-italiens, ni même s’étonner que le piano d’accompagnement soit peu adapté à ce récital (car peu audible dans les grands volumes de la tente), mais les situations de crise appellent des décisions radicales pour que la musique puisse malgré tout avoir sa place dans les Alpes suisses en ce moment.

Le pianiste James Baillieu dirige le programme de mélodies de l’Atelier Lyrique à la Verbier Festival Academy. Aux Combins, ses chaussettes rayées colorées sont ce soir plus visibles que ses subtilités de toucher ne sont audibles. Arriver sur ce programme improvisé en dernière minute tient du grand talent, d’autant que le son des cordes frappées qui nous parvient timidement réserve un panel gourmet de caractères. Madame Butterfly respire par exemple en remous d’océan et submerge à marée haute de souvenirs d’espoir projetés à l’horizon. L’Élixir d’amour s’anime et s’auto-tricote gaiement, Francesco Cilea se pare de reflets impressionnistes, et La Dame de pique s’enracine en symbiote dans les lignes vocales. Si l’acoustique du lieu ne facilite pas l’enroulement d’écoute dans la boucle du piano, les chanteurs s’en donnent à cœur joie pour réarranger le rapport entre la voix et le public.

Le ténor Marcelo Álvarez donne la chair de poule à la moindre intervention, réunissant l’alpha et l’oméga de la tension opératique. Toujours exceptionnel et exponentiel en intensité, il empoigne au vol la beauté de la phrase et la chaleur de l’émission. La voix mute par le pouvoir du texte : un mot dans le rêve puis un bond dans la réalité. ; il est un véritable agronome de l’incidence émotionnelle. Dans la sublime page de musique qu’est « Ô Souverain » (Le Cid de Massenet), la dévotion l’emporte. Si la diction rigoureuse compose un remarquable « E lucevan le stelle » (Tosca), c’est dans le duo Alvaro-Carlo de l’acte IV de La Force du destin qu’il atteint l’exaltation suprême : cette battle du chant d’honneur passe par tous les stades imaginables, soutenus admirablement. Ambrogio Maestri participe lui aussi à la joute verdienne de son réconfortant timbre single malt. Les dilemmes de ses personnages se nichent dans des inflexions opulentes et expressives. En un même legato, les changements d’articulation sans temps mort participent à la richesse de la prestation. La rage de Carlo Gérard (Andrea Chénier) est une colère contenue ; son Giorgio Germont (La Traviata) refuse les concessions, dans une voix comme entourée d’une étoffe épaisse et précieuse, et cherche à convaincre sans brusquer. Le baryton est adepte des bombes à retardement, dense dans tous les registres. La Violetta de Maria Bayankina, tout droit sortie d’un opéra de Tchaïkovski, tient davantage de l’ostentation lyrique. Le manque d’« italianités » aérées ne nuit en revanche pas à « Un bel dì vedremo » (Madame Butterfly), où Cio-Cio San joue à cache-cache avec ses émotions, entre une force d’évocation retenue et des nuances prenantes. L’air de Lisa du troisième acte de La Dame de pique est superbement composé de zooms et de piliers, et se projette en fatum large. Nous cernons une vraie douleur qui brave le corps du personnage. Enfin, avec Tannhaüser, la soprano ouvre le concert confiante et exaltée, pour poser les bases d’une soirée où la voix est mise à nu dans une ampleur finalement bienvenue. Un bis très réussi par chanteur et un Libiamo collectif avec les étudiants de l'Atelier Lyrique de la Verbier Festival Academy : la soirée se conclut en beauté !

Thibault Vicq
(Verbier, 20 juillet 2021)

Crédit photo © Lucien Grandjean

| Imprimer

En savoir plus

Commentaires

Loading