Un Roméo et Juliette 5 étoiles au Grand-Théâtre de Bordeaux

Xl_credit_eric_bouloumie-9411-hd © Eric Bouloumié

Un mois après La Scala de Milan, c’est au tour de l’Opéra National de Bordeaux de présenter l’opéra de Charles Gounod, Roméo et Juliette, ici dans une version « mise en espace » réglée par Justin Way, mais avec un couple de héros aussi enthousiasmant qu’à Milan. Roméo est incarné par Pene Pati, le ténor samoan qui avait fait sensation ici-même l’an passé dans Anna Bolena (rôle de Percy), auquel on s’attache d’emblée en raison d’une sincérité d’accents et d’un timbre dont on admire le grain (certains le comparent à celui de Pavarotti...). La diction est par ailleurs superlative (on goûte chaque mot du « Console-toi, pauvre âme, le rêve était trop beau »), les principes d’émissions absolument sains, et sa quinte aigue décoiffante, notamment lors d’un contre-Ut tenu plus de dix secondes dans la scène finale ! Juliette, c’est l’américaine Nadine Sierra qui avait également triomphé au Grand-Théâtre la saison dernière dans le rôle de Manon (aux côtés du Des Grieux de Benjamin Bernheim). Son timbre opalescent, son émission facile, ses vocalises aériennes coulent comme de l’eau de source, rafraîchissante pour l’auditoire qui en tombe immédiatement amoureux – d’autant plus facilement qu’elle possède une plastique de star hollywoodienne, en plus d'en avoir aussi les talents d'actrice, aussi adroite que gracieuse, ce qui finit de ravir les cœurs. 

Entièrement française, et s’exprimant avec une admirable diction, le reste de la distribution mérite les plus vifs éloges. À commencer par Adèle Charvet (Stéphano) qui s’affirme de plus en plus comme un talent à suivre, et son grand air « Que fais-tu blanche tourterelle » s’avère comme l’un des grands moments de la soirée. Se détache également le remarquable Mercutio de Philippe-Nicolas Martin, dont la sureté technique autant que la séduction scénique emportent l’adhésion. De son côté, Christian Helmer est un Capulet sonore et autoritaire ; ce qu’est un peu trop, en revanche, le Frère Laurent de Nicolas Courjal qui interprète son personnage de la même manière que ses habituels rôles de « méchants » (bref, un peu plus d’humanité n’aurait pas nui ici…). Le Bordelais Thomas Bettinger ne fait qu’une bouchée du rôle de Tybalt auquel il prête ses généreux moyens qui conviennent parfaitement à ce chef de clan, tandis que Marie-Thérèse Keller donne à Gertrude un vrai relief. Citons également Romain Dayez en Comte Pâris, Geoffroy Buffière en Duc de Vérone, Hugo Santos en Frère Jean, François Pardailhé en Benvolio, et adressons une mention spéciale au virevoltant Grégorio de Louis de Lavignère.

Enfin, last but not least, la direction du chef britannique Paul Daniel apparaît étrangère à tout souci pittoresque et charmeur. Elle est plutôt une leçon de narration en musique : d’une précision remarquable, elle est tout entière soumise à l’unité et à l’efficacité théâtrale de l’œuvre. L’Orchestre national Bordeaux-Aquitaine, tantôt haletant, tantôt envoûtant, ne néglige pas pour autant le raffinement de la partition de Gounod, et les interludes témoignent, de fait, d’un réel sens poétique.

Seule ombre au tableau, la dernière qui devait avoir lieu aujourd’hui (dimanche 15 mars) a été annulée pour les raisons que l’on sait…

Emmanuel Andrieu

Roméo et Juliette de Charles Gounod au Grand-Théâtre de Bordeaux, le 12 mars 2020

Crédit photographique © Eric Bouloumié

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