Un Eugène Onéguine en manque de lyrisme à l'Opéra national du Rhin

Xl_oneguine © Klara Beck

Après un Werther énigmatique en début d'année, l’Opéra national du Rhin achève sa saison avec un Eugène Onéguine encore plus abscons, distillant au final pas mal d’ennui, malgré les images prégnantes que forment les trois différents décors (signés Jamie Vartan) : le salon austère des Larine, plongé dans la pénombre et jonché de seaux car la maison prend l’eau, au I, une discothèque de campagne assez glauque, éclairée aux néons, au II, puis le hall sans âme d’un Grand hôtel (de style Art Déco soviétique...), au III, les trois remarquablement éclairés (de manière diffuse pour les deux premiers tableaux, puis violente pour le dernier) par Fabiana Picccioli. Là où le spectacle pèche, c’est dans la direction d’acteurs, car soit on ne comprend pas où Frederic Wake-Walker, à qui est confié la régie, veut en venir, soit au contraire le sens est trop appuyé, pour ne pas dire lourdingue. Que penser ainsi de ces six couples d’adolescents qui effectuent une drôle de danse, un ballon en forme de cœur attaché aux cous des garçons, pendant le premier acte ? Du numéro de rock-star en bout de course imposé au personnage de Monsieur Triquet, à l'acte II ? Ou du duel transformé ici plutôt en suicide au moyen d’un jeu « à la roulette russe » ? Ou encore de ces personnages qui assistent, figés et comme « robotisés », au bal des Grémine dans le dernier tableau (photo) ? On ne saisit pas vraiment le fil conducteur entre toutes ces scènes étranges qui, au lieu de retenir l’attention, finissent par désintéresser le spectateur de l’action…

Par bonheur, la distribution révèle des chanteurs-comédiens de grande qualité, à commencer par la soprano russe Ekaterina Morozova, qui conjugue admirablement une gestuelle d’adolescente rêveuse, excessive, constamment spontanée, et les pouvoirs d’une voix pleinement épanouie, colorée et contrôlée à la fois, susceptible d’une magnifique gamme de nuances. Dans le rôle-titre, le baryton roumain Bogdan Baciu fait également sensation, en offrant à son personnage un élégant équilibre entre spleen byronien et fièvre passionnée dans le dernier acte. De son côté, le ténor arménien Liparit Avetisyan compose un Lenski émouvant, au timbre clair et solaire, et le fameux air « Kuda, kuda » constitue indubitablement le moment le plus marquant de la soirée. La basse russe Mikhail Kazakov chante la longue scène du Prince Grémine avec davantage de puissance vocale que de distinction stylistique, tandis que la belle mezzo suisse Marina Viotti - déjà remarquée en Dame Marthe (Faust) à Genève en février dernier - prête à Olga son timbre riche et chaleureux. Monsieur Triquet est incarné par un Gilles Ragon que l’on a connu en meilleure forme, de même que les beaux jours (vocaux) semblent être passés pour Doris Lamprecht (Mme Larina), a contrario de l'éclatante santé vocale de la mezzo russe Margarita Nekrasova, qui fait forte impression - en termes de puissance et de graves - dans le personnage de la nourrice Filipievna.

Par malheur, rien ne va plus, en revanche, du côté de la fosse : le harpiste et le cor solo de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg semblent s'adonner au concours de celui qui fera le plus de couacs ou de fausses notes, tandis que Marko Letonja étire les tempi à l’envi, refusant à la partition de Piotr Ilitch Tchaïkovski le lyrisme et les fiévreux emportements dont elle est pourtant truffée. Dommage de clôturer ainsi une saison pour le reste particulièrement enthousiasmante…

Emmanuel Andrieu

Eugène Onéguine de Piotr Ilitch Tchaïkovski à l’Opéra national du Rhin, jusqu’au 6 juillet 2018

Crédit photographique © Klara Beck
 

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