Michel Plasson magnifie Faust à l'Opéra des Nations de Genève

Xl_faust1 © Magali Dougados

L’affiche du Faust de Charles Gounod proposée par l’Opéra des Nations de Genève s’avérait alléchante. Sur le plan musical d’abord, avec un « remplaçant » de luxe en la personne de Michel Plasson, suite à la défection de Jesus Lopez Cobos, mais aussi sur le plan vocal, avec la présence de John Osborn dans le rôle-titre, et de l’éblouissante soprano arménienne Ruzan Mantashyan, découverte in loco la saison dernière dans une Bohème de mémoire. Au final, ce Faust a tenu toutes ses promesses ou… presque. Car malheureusement, la production bâtarde de Georges Lavaudant – dans des décors d’une tristesse à pleurer (portes de garage coulissantes, escalier de secours en colimaçon, et balustrades en fer), et avec d’horribles costumes pour les chœurs (robes ridicules pour les femmes, et hommes vêtus en personnages du Ku Klux Klan pendant la Nuit de Walpurgis...), tous deux signés par Jean-Pierre Vergier – est un nouvel échec du metteur en scène français, après le Manfred (Schumann) raté qu'il avait signé pour l’Opéra-Comique. Il n’y aura – dans les 3h30 que dure le spectacle – que deux images et idées à sauver de ce naufrage scénique. D'abord, la première scène de Marguerite : point de bijoux ici mais une somptueuse robe composée de mille et un éclats de miroirs brisés qui éclaboussent de lumière la salle, telle une multitude de diamants. Et enfin, la dernière scène, tout en ambiguïté, où un personnage christique, crucifié entre deux larrons, s’avère être Méphisto lui-même…

Dans le rôle-titre, le ténor américain – flamboyant Jean de Leyde (Le Prophète) à Essen l'an passé – est égal à lui-même : voix exceptionnellement claire et bien projetée, diction parfaite du français (qu’il parle couramment), mezza voce ensorcelantes et luxe de demi-teintes éthérées. Son grand air « Salut ! Demeure chaste et pure » s'affirme comme un parangon de style et d'élégance. De son côté, Ruzan Mantashyan possède une voix à la fois saine et lyrique, au timbre capiteux, capable de franchir sans effort la densité orchestrale. Comme peu de chanteuses aujourd'hui, elle parvient à incarner – tant scéniquement que vocalement – la jeune fille des actes II et III et, de façon tout aussi prodigieuse, la tragédienne des actes IV et V. Elle fait fi des vocalises du célèbre air des bijoux, mais assume aussi vocalement – et sans aucune faille – les composantes les plus sombres et les plus périlleuses de sa partie (scène de l’église et scène de la prison). Elle est une Marguerite sur laquelle on peut compter, et l'un des grands espoirs parmi les sopranos lyriques de notre temps.

Quel dommage qu’Adam Palka s’exprime dans un français plus qu’approximatif, or dans ses airs, qu’il semble avoir suffisamment travaillés pour les délivrer de manière intelligible, car autrement, la basse polonaise a tout de Méphisto : la noirceur toute satanique du timbre et des graves aussi profonds que les aigus sont éclatants. Son jeu scénique est aussi à saluer, et il campe un diable aussi sournois qu’empli d’un humour toujours grinçant. Pour ne pas changer, le baryton québécois Jean-François Lapointe offre un portrait de caractère de Valentin, avec un matériau vocal saisissant de maturité et d’assurance. La mezzo américaine Samantha Hankey s’exprime dans un parfait français, avec une voix chaude et cuivrée, et une présence scénique affirmée : son Siébel est un adolescent maladroit et fragile, qui traverse la scène comme à regret, avec un côté « désolé d’être là » qui le rend particulièrement attachant. Enfin, la mezzo suisse Marina Viotti incarne une Dame Marthe à la fois pleine d’humour et très musicale, tandis que Shea Owens parvient, en seulement deux minutes, à faire exister Wagner.

A la tête d’un Orchestre de la Suisse Romande des grands soirs, l'immense Michel Plasson magnifie la partition, rendant justice – avec énormément de subtilité et de retenue – aux bonheurs et inventions mélodiques du chef d’œuvre de Gounod (dont l’enregistrement discographique qu’il en a fait, avec son Orchestre du Capitole, reste, aujourd’hui encore, la référence absolue !). Et c’est un vrai bonheur de voir les musiciens, visiblement envoûtés – pour ne pas dire magnétisés par la baguette du chef français –, répondre à la moindre de ses intentions…

Emmanuel Andrieu

Faust de Charles Gounod à l’Opéra des Nations de Genève, jusqu’au 18 février 2018

Crédit photographique © Magali Dougados

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