Streaming : une distribution 5 étoiles pour Il Turco in Italia au Teatro di San Carlo de Naples

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Si l’Italie a dû se reconfiner et refermer ses théâtres, Naples et son sublime Teatro di San Carlo font de la résistance. Au rythme soutenu de trois événements par mois, l'établissement campanien propose des soirées lyriques, symphoniques ou chorégraphiques de grande qualité via son site internet et pour la modique somme de 2,99 euros. Dans le premier genre, ce sont les plus grands gosiers de la planète que l’heureux nouveau directeur du temple napolitain, Stéphane Lissner, fait défiler dans son mythique théâtre, l’un des plus anciens au monde (1737). Nous avions assisté, derrière notre écran, au premier spectacle d’envergure initié par le maître des lieux : un Cavalleria Rusticana qui affichait rien moins que Kaufmann et Garanca dans les deux rôles principaux. Début mars, le site du San Carlo proposait un Pirata de Bellini avec Albelo et Radvanovsky, et deux semaines plus tard, c’est donc un Turc en Italie de Rossini qui est cette fois mis en ligne, quelques jours après sa captation. On connaît les malheurs de cette partition du cygne de Pesaro, créée à La Scala de Milan en 1814 (un an avant que Gioacchino Rossini ne s’installe pour sept années à Naples, où il fera les beaux soirs de ce fameux Teatro di San Carlo, aux côtés de sa muse puis épouse Isabella Colbran), mais qui ne séduira pas le public de la capitale lombarde, qui verra dans le livret de Felice Romani une mauvaise copie de celui de L’Italienne à Alger.

Le baryton italien Paolo Bordogna, que l’on sait passé maître dans l’art du chant sillabato, campe le plus désopilant et plus pathétique des Geronio, et son chant souligne à la perfection ici cette double composante du chant rossinien. De son côté, le ténor russe Ruzil Gatin (Don Narciso) arbore un timbre séduisant et typiquement rossinien, c’est-à-dire clair et haut-perché, mais aussi une technique sûre et virtuose, et un registre aigu qui ne semble connaître aucune limite. Alessandro Luongo dit bien les « récitatifs » du poète Prosdocimo, mais l’on regrette que ce soit les seuls conservés car la suppression de ceux de tous autres protagonistes rend l’histoire tout simplement incompréhensible pour le néophyte qui ne connaîtrait pas la trame du livret... En plus d’une présence évidente, la mezzo italienne Gaia Petrone offre fraîcheur et précision vocales au personnage de Zaida, l’amante délaissée de Selim. Ce dernier est incarné par la basse croate Marko Mimica, qui nous avait tant impressionnés en Lord Sydney (Il Viaggio a Reims) au festival de Pesaro en 2014, et qui continue de flatter l’oreille grâce à son timbre magnifique et ses graves profonds, mais droit dans ses bottes et par trop marmoréen ici, il ne possède par contre en rien l’humour et la folie requis par ce Turc d’opérette.

Et sans chauvinisme aucun, c’est bien Julie Fuchs qui illumine la soirée. La soprano française possède d’extraordinaires qualités de musicienne (quel legato impeccable ! Quelles messe di voce admirablement conduites ! Et quels pianissimi angéliques !), tout en maîtrisant à la perfection une technique parfaitement huilée qui lui permet également de faire fi des déferlements acrobatiques de sa partie, tels dans les irrésistibles airs « Non v’è follia maggiore » ou « Ed osate minaccairmi ». Parce qu'elle sait ce que jouer veut dire, quand bien même devant un pupitre, elle est bien par ailleurs cette femme légère et infidèle dans ce théâtre pré-pirandellien imaginé par Romani et Rossini. Son timbre fruité confère à Fiorilla la gaité insouciante, l’arrogance, la pétulance et l’espièglerie de cette femme mariée à un homme bien plus âgé qu’elle, en quête d’aventures épicées... Brava !

Enfin, le chef italien Carlo Montanaro, pour ses débuts à Naples, galvanise l’Orchestre du Teatro di san Carlo, mais par-delà la maîtrise technique de l’un et la qualité des sonorités de l’autre, on louera la variété dans le phrasé et dans la dynamique, et sa vaste palette de couleurs, tant dans les strette énergiques des ensembles que dans la transparente légèreté des accompagnements.

Emmanuel Andrieu

Il Turco in Italia de Gioacchino Rossini au Teatro di san Carlo de Naples  à voir en replay (pour 2,99 euros) jusqu’au 31 mars 2021

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