Lucrezia Borgia sublimée par Annick Massis au Théâtre du Capitole

Xl_1.5-lucrece_borgia_-_annick_massis_lucrece_borgia_et_andreas_bauer_kanabas_alfonso_deste_-_credit_patrice_nin © Patrice Nin

Le Théâtre du Capitole, fidèle à Gaetano Donizetti, ose cette saison sa rare Lucrezia Borgia, un titre qui est tout sauf une œuvre aisée ; l’excellence vocale peut seule donner cohérence et relief au drame de Victor Hugo revu par Felice Romani. Un pari relevé (et gagné) par Christophe Ghristi grâce à un sans faute pour le choix des voix. Pour ce qui est de la mise en scène, il est allé chercher la production qu’Emilio Sagi avait montée au Palau de les Arts de Valence en 2017. Avec son décorateur Llorenç Corbella, ils ont imaginé une scénographie uniquement constituée de panneaux amovibles, permettant de situer les différents lieux de l’action, que de rares accessoires (tombant des cintres ou apportés des coulisses par les protagonistes) viendront compléter. A l’instar de la production de Bohème vue en Avignon quelques jours plus tôt, tous les personnages sont vêtus de costumes sombres (camaïeu de gris, de noir ou d'ocre), et seule l’héroïne apporte une touche de couleur, qui arbore une magnifique robe rouge-sang (début du II), captant ainsi tous les regards. Pour le reste, la direction d’acteurs de Sagi marie le hiératisme et le mouvement avec une certaine maestria : les scènes finales, notamment, avec leur débauche de luxure et d’ivresse, couronnent un spectacle de la meilleure veine, au sein duquel les lumières d’Eduardo Bravo viennent opportunément apporter du relief à l’ensemble.

Après trente années d’une éblouissante carrière dans le domaine du belcanto romantique (où elle ne connaît guère - voire pas - de rivales aujourd’hui…), Annick Massis ose enfin d’assumer sans crainte le personnage fascinant de Lucrezia Borgia dans lequel d’illustres devancières comme Leyla Gencer, Montserrat Caballé ou encore Joan Sutherland ont trouvé l’occasion de briller avec tant d’éclat. Disons-le d’emblée et sans ambages, la victoire de la soprano française est complète ! D’une beauté royale dans les somptueux costumes (notamment celui écarlate précité) de Pepa Ojanguren, avec une assurance vocale et stylistique qui en impose dès son entrée en scène, et une sensibilité frémissante, Annick Massis déploie, tout au long de ce rôle écrasant, les ressources multiples d’une voix qui ne nous a jamais paru aussi riche, aussi nuancée, aussi rayonnante. Son air d’entrée « Com’è bello » est exquisément phrasé, son timbre parfaitement immaculé et son absolu contrôle du souffle préservant la crédibilité de son incarnation jusqu’au rideau final, derrière lequel son apparition après les derniers accords soulève un vent d’hystérie parmi le public toulousain !

Avec son joli timbre de ténor lirico leggero, parfait pour les emplois de héros rossiniens et donizettiens, sa projection franche, et son phrasé impeccable, le jeune ténor turc Mert Süngü rallie tous les suffrages. Mais ici, Gennaro et Maffio Orsini sont explicitement amants, ce qui a dérouté quelque peu le public, le personnage de l’ami fidèle étant par ailleurs confié à une fort séduisante mezzo en travesti ! La jeune chanteuse corse Eleonore Pancrazi, puisqu’il s’agit d’elle, n’est peut-être pas exactement le contralto exigé par l’emploi (la voix manque de projection et le grave d’assise, ce qui pouvait être imputable au début de trachéite dont elle souffrait lors de cette première, et l'on attend donc une prochaine prestation pour en juger pleinement...), mais elle joue de manière si ardente et passionnée, le timbre est tellement flatteur, et la technique de chant (belcantiste) tellement (déjà) aguerrie… qu’elle nous a conquis ! De son côté, la basse allemande Andreas Bauer Kanabas campe un éclatant Afonso, délivrant une véritable leçon de déclamation dans les récitatifs. La voix est d’un volume impressionnant, doublée d’une intonation précise, et pour ce qui est du jeu... quelle intuition dramatique et quel sens de la caractérisation ! D’une équipe de comprimari plus que correcte, on détachera cependant le Gubetta imposant de Julien Véronèse et le percutant Rustighello de Thomas Bettinger, l’un de nos ténors français favoris (cf : son Faust stéphanois ou son Mario stéphanois), par trop sous-employé dans sa patrie selon nous...

Enfin, aux côtés de chœurs maison tour à tour ardents ou insinuants, exemplaires de bout en bout, la direction musicale du jeune chef italien Giacomo Sagripanti donne, par son dynamisme et sa science des oppositions, toute sa valeur à l’une des partitions les plus riches et les plus vibrantes de Donizetti.

Bravo Toulouse !

Emmanuel Andrieu

Lucrezia Borgia de Gaetano Donizetti au Théâtre du Capitole, jusqu’au 3 février 2019

Crédit photographique © Patrice Nin

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