Le triomphe de Teresa Iervolino dans la version napolitaine de Rinaldo de Haendel au Festival de Martina Franca

Xl_frinaldod © Fabrizio Sansoni

Aux côtés de la redécouverte du Giuletta e Romeo de Nicola Vaccai, le Festival de la Valle d’Itria proposait également une mouture très spéciale du célèbre Rinaldo de Georg Friedrich Haendel. Créé au Queen’s Theater de Londres en février 1711, et inspiré de la « Gerusalemme liberata » de Torquato Tasso (dit Le Tasse), l’ouvrage narre les aventures de Renaud (Rinaldo) en route vers la Terre sainte pour arracher le Saint-Sépulcre aux sarrasins. C’est le célèbre castrat Nicola Grimaldi (plus connu sous le nom de Nicolino) qui incarna le rôle-titre pour la première fois à Londres, et, de retour dans sa ville natale à Naples, il emporta avec lui le précieux manuscrit, du moins les parties où il intervenait. En 1718, à l’occasion de l’anniversaire de l’Empereur d’Autriche Charles VI (également Roi de Naples), on redonna l’ouvrage, mais dans une toute autre version (c’est la version « dite de Naples » qui nous intéresse présentement...), dans laquelle seuls les airs dévolus à Rinaldo (et quelques rares autres confiés à d’autres personnages) avaient été conservés. C’est au non moins célèbre compositeur napolitain Leonardo Leo que fut confié la tâche de créer une nouvelle mouture à partir de l'original haendélien, pour laquelle il composa lui-même certains airs, empruntant à d’autres compositeurs (tel que Vivaldi) d’autres pages musicales. Règle obligée à laquelle devait se soumettre toute partition (ou presque) dans la Naples du XVIIIe siècle, l’introduction de saynètes comiques venant commenter l’action. Deux personnages comiques – Nesso et Lesbina – furent ainsi ajoutés : ils interviennent à chaque début d’acte, mais la musique liée à leurs parties ayant été perdue, le musicologue en charge de la résurrection de cette version – Giovanni Andrea Sechi – s’est vu contraint de faire déclamer le texte à deux comédiens (Valentina Cardinale et Simone Tangolo).

Commençons par ce qui nous a le moins plu, à savoir la mise en scène... confiée ici à l’homme de théâtre italien Giorgio Sangati. Prenant prétexte que les stars de l’époque étaient les castrats, il transpose l’action à la fin du XXe siècle en habillant les différents personnages en Popstars des années 80, transformant ainsi Rinaldo en Freddie Mercury, Almirena en Madonna, Armida en Cher, Goffredo en Elton John, Eustazio en David Bowie, tandis qu’Argante est le Leader du groupe Kiss ! Le conflit entre chrétiens et sarrasins qui est au cœur de l’intrigue devient celui qui oppose les tenants du Pop-rock et ceux du Dark-Metal : les guerres de religion supplantées par un affrontement entre les tendances musicales des années 80… Autant dire que tout cela n’a rien à voir avec Rinaldo et que cette élucubration aurait pu être imposée à n’importe quel autre opéra ou presque. On aura décidément tout vu…


Rinaldo ; © Fabrizio Sansoni

Rinaldo ; © Fabrizio Sansoni

En revanche, si l’approche musicale du grand chef italien Fabio Luisi n’est pas si éloignée de ces images pas du tout pieuses, c’est pour le plus grand plaisir des auditeurs. Sous sa direction vive, colorée, inventive, la partition prend un sacré coup de jeune. La très haute qualité des instrumentistes de l’ensemble baroque La Scintilla leur permet de suivre d’un pas alerte une telle promenade en pays enchanté, pleine d’imprévus et dont – faut-il le préciser ? – toute monotonie est bannie.

Mais la principale satisfaction de la soirée est cependant procurée par l’équipe vocale, à commencer par l’extraordinaire mezzo italienne Teresa Iervolino – magnifique Angelina (La Cenerentola) au Teatro Massimo de Palerme il y a deux saisons – qui incarne un grandiose Rinaldo, d’une crédibilité scénique et d’une opulence vocale qui emportent tout sur leur passage. « Cara sposa » et « Cor ingrato » sont chantés avec autant de pudeur que de relief, avant de livrer un « Incendio fra due venti » chaleureux et engagé, un « Venti turbini » virtuose et déchaîné, ainsi qu’un « Or la tromba » dans lequel la chanteuse prend le dessus sur la trompette. Elle rend également parfaitement justice, par un savant dosage de musicalité et d’émotion, au fameux air « Lascia qu’io panga », que Nicolino s’est octroyé en le subtilisant à Almirena (et qui est transformé ici en « Lascia qu’io resti »). Autre triomphatrice du spectacle, la soprano italienne Carmela Remigio – à qui un prix a été décerné par le festival la veille de la représentation – et qui fait valoir l’étendue d’une voix riche et pleine, alliée à un tempérament éruptif, ce qui fait de sa magicienne un personnage de furie véhémente, plus qu’une amoureuse et une séductrice. De son côté, la mezzo italienne Loriana Castellano – déjà applaudie in loco l'été passé dans Orlando Furioso de Vivaldi – compte parmi les très bonnes chanteuses du moment. Son timbre sombre et sensuel, sa ligne de chant déliée, sa belle projection, sa puissance et sa noblesse de phrasé en font une très belle Almirena, piquante et espiègle, particulièrement tendre dans le magnifique « Augelleti che cantate », un des rares airs conservés de la partition originale, où les notes perlées qu’elle y distille se mêlent à une flûte ici pleine d’humour et de pépiements. Autre mezzo italienne, Francesca Ascioti campe un Argante de toute beauté, à la voix riche et souple, capable de graves impressionnants, mais aussi d’aigus et de nuances belcantistes remarquables. Des lauriers également pour le ténor espagnol Francisco Fernandez-Rueda qui appporte beaucoup de sensibilité au personnage de Goffredo : les airs qu’il chante sont essentiellement doux et il peut donc utiliser les couleurs les plus claires, les plus harmonieuses de sa voix, brossant ainsi le portrait d’un père tendre et désespéré. Enfin, quatrième et dernière mezzo de cette mouture napolitaine, l’estonienne Dara Savinova convainc également dans les passages plus épisodiques d’Eustazio.

En dépit de la mise en scène, qui est venue un peu gâcher la fête, une excitante redécouverte comme Martina Franca en a le secret !

Emmanuel Andrieu

Rinaldo de Georg Friedrich Haendel (version de Naples, 1718) au Festival de Martina Franca, le 4 août 2018

Crédit photographique © Fabrizio Sansoni
 

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