Le duo Patrice Caurier-Moshe Leiser signe un Couronnement de Poppée sanglant à Nantes

Xl_poppea © Jeff Rabillon

Après quatorze années passées à la tête d’Angers Nantes Opéra, Jean-Paul Davois tirera sa révérence en janvier prochain, mais il ne pouvait pas partir sans offrir sa dernière production d’importance au duo de metteurs en scène Patrice Caurier et Moshe Leiser, amis fidèles qui ont signé quantité de productions in loco sous son mandat. Leur choix s’est porté sur l’extraordinaire partition qu’est Le Couronnement de Poppée de Claudio Monteverdi, et, pour pour le célèbre duo, le premier opéra véritable de l’histoire s'avère d’abord une pièce de théâtre, violente, cruelle, démente même. Malgré la couleur philosophique marquant quelques sommets de la partition (notamment les personnages antipodiques de Seneca et d’Arnalta), ils en oublient même jusqu’aux résonances purement politiques pour suivre l’inéluctable naufrage de Nerone dans une folie nourrie de sexe et de crimes sanglants. Car l’hémoglobine coule à flots pendant le spectacle : Sénèque s’ouvre les veines dans sa baignoire, Lucano est égorgé froidement par Nerone après que ce dernier ne se soit fait sodomiser par le premier, Drusilla est torturée jusqu’au sang par les sbires de l’Empereur, et Ottavia se jette dans le vide comme Tosca ! Dans la scène finale, pendant le sublime duo d’amour entre Nerone et Poppea, « Pur ti miro », tous ces cadavres se retrouvent présents sur le plateau, tandis que les murs du palais sont peu à peu recouverts (de manière un peu too much) par des hectolitres de sang... Pour enfoncer le clou, au même moment, Amore badigeonne les visages des deux héros d’un peu plus d’hémoglobine...

Pour défendre le parti difficile des metteurs en scène, il fallait une distribution de haut niveau. C’est le cas ici, à commencer par le ténor islandais Elmar Gilbertsson qui compose un Nerone malsain, névrotique, sadique, avec un regard et une expression inquiétants, dissimulant la maladie mentale, et qui convainc sans réserve autant par le jeu, très vif, que par le chant, d’une exceptionnelle autorité. Le choix d’un Nerone ténor (partie généralement dévolue à une mezzo ou un contre-ténor) rend les rapports dramatiques plus crédibles, et la scène de beuverie et de débauche où l’Empereur cède à une attirance physique irrésistible pour son ami Lucano (chanté ici avec verdeur par l’américain Mark van Arsdale) fonctionne parfaitement. Si la soprano belgo-suisse Chiara Skerath peut paraître un peu trop charmante, douce et sincère pour incarner la manipulatrice et carnassière Poppea, comment ne pas fondre devant la beauté de la voix et la musicalité sans faille de l’artiste, comme nous l’avions déjà fait à Strasbourg en 2015 face à sa délicieuse Servilia dans La Clemenza di Tito. Grande émotion à discerner la plénitude et la chaleur de la mezzo israélienne Rinat Shaham en Ottavia : son « Disprezzata regina », comme son adieu à Rome, comptent parmi les plus intenses moments de la soirée. De son côté, le baryton hongrois Peter Kalman – rageur Figaro (des Noces) in loco en avril dernier possède la prestance de Seneca, mais la voix, bien que superbe, manque cependant de la grande flexibilité exigée par ce répertoire. Confié d’habitude à un contre-ténor, le rôle d’Ottone est ici donné à un baryton, l’italien Renato Dolcini, tessiture qui lui permet de tenir tête aux grandes pointures qui l’entourent. Elodie Kimmel est une Drusilla délicieusement fruitée et le sort qui lui est réservé n’en paraît que plus cruel. Grand habitué du rôle depuis des décennies, le vétéran Dominique Visse campe une inénarrable Nutrice tandis qu’Eric Vignau ne lui cède en rien, en termes de drôlerie, dans la partie d’Arnalta, autre rôle de travesti. Mentionnons, enfin, l’Amore du jeune contre-ténor italien Logan Lopez Gonzalez, omniprésent ici, doré des pieds à la tête, et filant à travers tout l’espace scénique grâce à un harnais relié aux cintres, tandis que Gwilym Bowen (Valetto), Sarah Aristidou (Damigella) et Agustin Perez Escalante (Littore) complètent avec bonheur la distribution vocale.

Au pupitre, le chef italien Gianluca Capuano (épaulé par Leiser qui donne les départs aux chanteurs) dirige avec autant de prudence philologique que de sensibilité dramatique l’Ensemble Il Canto d’Orfeo. Malgré une instrumentation légère, il offre une lecture ample et charnue, souple, nerveuse et richement colorée de la magnifique partition de Monteverdi.

Emmanuel Andrieu

L’Incoronazione di Poppea de Claudio Monteverdi au Théâtre Graslin de Nantes, jusqu’au 17 octobre 2017

Crédit photographique © Jeff Rabillon
 

| Imprimer

En savoir plus

Commentaires

Loading