Le Chevalier à la Rose au Festival de Glyndebourne

Xl__bc20140512_der_rosenkavalier_glyndebourne_144 © Bill Cooper

C'est par une nouvelle production de Der Rosenkavalier – confiée au metteur en scène britannique Richard Jones - que s'est ouverte la 80ème édition du Festival de Glyndebourne, célébrant au passage les 150 ans de la naissance du compositeur bavarois. D'emblée, on saluera le sans faute que constitue le spectacle, avec un ouvrage aussi épineux à (bien) monter qu'à distribuer que Le Chevalier à la Rose : production intelligente, cohérente, et originale, distribution homogène et sans la moindre faille, tant dans les rôles principaux que dans la multitude des comprimari, sous la direction exemplaire du nouveau directeur musical de la manifestation anglaise, Robin Ticciati. A la tête du fidèle London Philharmonic Orchestra, il livre une lecture précise et juste, avec les tempi adéquats, et des raffinements de phrasés qui prouvent une compréhension en profondeur de la partition de Strauss.

Mais c'est indubitablement Kate Royal – pour ses débuts dans le rôle - qui est la triomphatrice de la soirée. Superbe maréchale, la soprano britannique a conquis l'audience par sa musicalité, par la beauté et la chaleur de son médium, et par la couleur vif argent de son timbre. Mais Kate Royal fait surtout valoir un sens des clairs-obscurs et une superbe palette d'inflexions qui transforme son monologue du premier acte en un chef d'œuvre d'interprétation. Du lever de rideau à la douloureuse résignation du dernier acte, son incarnation paraît comme illuminée de l'intérieur, l'intelligence de l'artiste forçant à chaque instant l'admiration de l'auditeur.

Scéniquement remarquable (malgré un physique peu androgyne), la mezzo irlandaise Tara Erraught – en troupe à la Bayerische Staatsoper de Munich – se montre aussi convaincante en amant plein de fougue qu'en amoureux transi et en soubrette malicieuse. Vocalement, elle met avant tout la belle couleur de son médium et de son grave, en particulier dans les duos avec Sophie, la soprano roumaine Teodora Gheorghiu (nulle parenté avec Angela...), qui brosse le portrait d'une femme volontaire, d'une ardente révolte juvénile, néanmoins sans cette grâce aérienne qui, seule, rend inoubliable la « Présentation de la rose ».

Lars Woldt s'impose par son aisance scénique et par sa maîtrise vocale de la tessiture du Baron Ochs, jusqu'au Mi grave qui termine le deuxième acte. On en finit même par prendre en sympathie ce libertin campagnard, par delà sa lourdeur et sa maladresse. Tout à fait à sa place également, Michael Kraus en Faninal, qui ne rencontre aucune difficulté sur les nombreux Fa et Sol aigus dont sa partie est émaillée. Parmi les seconds rôles enfin, l'on retiendra le Chanteur italien d'Andrej Dunaev, qui brille dans le célèbre air « Di rigori armato il seno », ainsi que la Marianne de l'australienne Miranda Keys à qui Jones offre un impayable numéro, qui lui permet - en plus de ses imposants moyens vocaux - de se tailler un beau succès.

Régulièrement invité à Glyndebourne (Macbeth, Falstaff, Euryanthe...), Richard Jones s'intéresse davantage à la comédie qu'à la partie « sérieuse » du livret, multipliant clins d'yeux et gags visuels en tout genre – fait dont il est coutumier -, mais en préservant cela dit le charme de l'idylle entre Octavian et Sophie, ou la grandeur d'âme de la Maréchale qui se sacrifie par amour (même si l'émotion escomptée n'est pas toujours au rendez-vous...). L'action – via les décors (et les papiers peints de couleurs criardes) de Paul Steinberg et les costumes (sophistiqués et/ou drôles) de Nicky Gillibrand - situe l'action dans le deuxième tiers du XXe siècle, et débute avec une étonnnante scène qui troque l'habituel lit d'alcôve contre une douche (de pluie d'or) sous laquelle la Maréchale apparaît nue, tandis qu'Octavian est en adoration devant l'image qui lui est offerte. Le spectacle est parsemé d'idées ingénieuses et imaginatives, qui anéantissent toute possibilité de longueurs : le monologue de la Maréchale sur la vieillesse et la fuite du temps se déroule ainsi sous le regard compréhensif d'une effigie de Siegmund Freud, et nous retiendrons surtout cette scène, plus dicrète, qui suggère - à travers une simple effeurement et regard échangé - que le valet Mohammed pourrait bientôt prendre la place d'Octavian...

Emmanuel Andrieu

Der Rosenkavalier au Festival de Glyndebourne, jusqu'au 3 juillet 2014

Crédit photographique © Bill Cooper

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