Inaltérable Gregory Kunde dans Fidelio à l'Opéra Nice Côte d'Azur

Xl_gregory_kunde_et_ang_lique_boudeville_dans_fidelio___l_op_ra_nice_c_te_d_azur © Dominique Jaussein

Après avoir été présentée à l’Opéra-Comique la saison dernière, c’est sur les bords de la Méditerranée à l’Opéra Nice Côte d’Azur que cette production de Fidelio de Ludwig van Beethoven continue sa route des coproductions, avant d’aller visiter la capitale de la Bourgogne. Signée par Cyril Teste, la mise en scène de l’homme de théâtre français avait été aussi minutieusement qu’intelligemment détaillée et expliquée dans ces colonnes (par notre brillant confrère Thibault Vicq). Nous n’y reviendrons donc pas, si ce n’est pour dire notre satisfaction à ce que le public niçois – connu pour être souvent réfractaire à la « modernité » parmi salles lyriques françaises – ait chaleureusement accueilli la représentation, sans que la moindre voix discordante ne vienne apporter un bémol au satisfecit général. Un pari donc gagné par Bertrand Rossi qui, certes en douceur, essaie d’amener peu à peu le public niçois vers des spectacles « modernes », dans lesquels la réflexion et l’ouverture sur le monde prennent toujours plus de place.

La seconde bonne raison de venir était bien évidemment pour la présence de l’incroyable (et inaltérable !) ténor américain Gregory Kunde, bientôt 70 ans au compteur dont 45 passés sur les planches, qui à l’instar de son collègue Placido Domingo défie les lois du temps, et ne cesse d’ajouter de nouveaux rôles à son déjà très long répertoire (mais en gardant, quant à lui, sa tessiture de toujours). À son entrée en scène, au II, il commence son air « Gott ! » par un pianissimo impalpable, puis enfle le volume jusqu'au fortissimo avant de finir sa note sur un autre pianissimo. Il déploie ensuite un phrasé magnifiquement éloquent, doublé d’une déclamation chargée d’émotion, jusqu’à un glorieux finale. Il reçoit des vivats aussi nourris que mérités en fin de représentation.

Acclamée avec enthousiasme tour à tour dans La Bohème (rôle de Mimi) et dans Guillaume Tell (rôle de Mathilde) à l’Opéra de Marseille en 2021, la frémissante soprano française Angélique Boudeville ne cesse de déployer, à partir d’un « Komm, Hoffnung » d’un parfait legato, le tissu sombre et velouté de son médium, sans défaillance aucune jusqu’à l’exigeant finale. Bravo à elle ! Le couple Marzelline / Jaquino fonctionne également à merveille, avec une Jeanne Gérard toute de fraîcheur et de tendresse, et un Valentin Thill aussi affirmé que bien chantant. De son côté, le grand baryton-basse allemand Albert Dohmen est un vrai luxe en Rocco. Il met au service de ce personnage à la fois roublard, peureux et profondément humain, une émission nuancée (malgré un inévitable vibrato, à 65 ans passés) et un jeu d’une sobriété bienvenue. Piètre acteur et chanteur vociférant, privé de souplesse comme de justesse, son compatriote Thomas Gazheli propose une image caricaturale de Pizzaro – et s’avère copieusement hué au moment des saluts ! Par bonheur, c’est un complet contraste qu’offre Birger Radde, dans le rôle de Don Fernando, grâce à la noblesse de son chant et la vérité de son jeu.

Mais la plus grande satisfaction de la soirée proviendra cependant de la direction du chef slovène Marko Letonja, actuel directeur musical de l’Opéra National du Rhin où Bertrand Rossi, le directeur de l’institution niçoise, a longtemps travaillé. Car l’émotion aura irrigué non-stop les deux heures d’un spectacle donné sans entracte. La perfection instrumentale d’un Orchestre Philharmonique de Nice sonnant comme jamais, le soin apporté au plus subtil détail instrumental sans jamais sacrifier la structure d’ensemble, l’homogénéité du son, le respect absolu des voix, sont une première surprise. Mais c’était sans compter sur la tendresse des violoncelles dans le quatuor du I, sur un authentique miracle d’équilibre entre fosse et plateau, ou encore sur une irrésistible montée vers la lumière dans l’accompagnement du chœur des prisonniers (superbe Chœur de l’Opéra de Nice). L’énergie et l’urgence dans l’expression des passions que le chef parvient à distiller balaient tout sur leur passage, et c’est bien là l’une des plus enthousiasmantes lectures du chef d’œuvre beethovénien qu’il nous aura été données d’entendre !

Emmanuel Andrieu

Fidelio de Ludwig van Beethoven à l’Opéra Nice Côte d’Azur – du 20 au 26 janvier 2023

Crédit photographique © Dominique Jaussein

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