Elsa Dreisig force l'admiration dans Anna Bolena au Grand-Théâtre de Genève

Xl_anna_bolena___gen_ve © Magali Dougados

Le jour même de cette première d’Anna Bolena de Donizetti au Grand-Théâtre de Genève, l’on apprenait que le maître des lieux, Aviel Cahn, était reconduit pour cinq années à la tête de l’institution helvète (jusqu’en 2029). La suite de la Trilogie Tudor est déjà programmée, et c’est ainsi que l’on pourra entendre in loco Maria Stuarda en 2022 et Roberto Devereux en 2023. C’est la première fois que ce titre était donné à Genève, de même qu’Elsa Dreisig (dans le rôle-titre) et Stéphanie d’Oustrac (en Giovanna Seymour) effectuaient là une prise de rôle.


Anna BOlena, Grand Théâtre de Genève © Magali Dougados

Chanter un rôle aussi exigeant que Bolena à 30 ans, quelle folie ! Et pourtant, on reconnait bien là la volonté farouche et le goût du risque de la jeune soprano française : « J’aime le risque, c’est plus fort que moi, c’est ce qui me galvanise et me fait avancer dans la vie ! » nous avait-elle avoué en interview il y a quatre ans à Aix. Et elle le prouve, le risque parfois paie : l'engagement sans faille d’Elsa Dreisig tout au long de la soirée force l’admiration, soutenue par une voix large et sonore, tandis que la coloration du phrasé, le registre grave et la projection des mots font également grande impression. Seul bémol à son éclatante prestation, le suraigu qui clôt le premier acte se crispe et n’est pas tenu, et elle ne tentera pas le contre- sur lequel est censé se terminer la soirée (mais mieux vaut un contre-Ut réussi qu’une note supérieure ratée !). Face à elle, Stéphanie D’Oustrac ne démérite pas, même si les débuts paraissent hésitants (elle est la première à entrer en scène), avec une ligne de chant mal contrôlée. Sa fréquentation assidue du répertoire baroque lui permet de varier les couleurs, et le jeu de l’actrice s’avère toujours aussi admirable d’intensité.

Dans le rôle de Percy, le ténor uruguayen Edgardo Rocha prouve, dans la cavatine et cabalette du premier acte, qu'il possède toutes les qualités requises pour interpréter ce répertoire : facilité d'émission (il tente de nombreux contre-Mi bémol… qu'il réussit avec brio !), netteté de la diction, vibration du phrasé et ligne de chant parfaitement maîtrisée. De son côté, Alex Esposito ne fait qu’une bouchée de la partie d’Henry VIII, avec sa voix de bronze, homogène sur toute la tessiture, et un sens infaillible des nuances. Spécialiste de ce répertoire, la mezzo ukrainienne Lena Belkina offre une voix ductile et racée au personnage travesti de Smeton, renforcée par une technique vocale sans faille et un jeu scénique confondant de naturel, jusque dans les incongruités de la direction d’acteur qui la fait se masturber en contemplant le portrait de sa dulcinée, tandis qu’elle a pris place dans son lit pendant son grand air « E sgombro il loco », dont la note la plus haute correspondra également au « soulagement » du personnage… C’est une petite révélation que constitue le Lord Rochefort du baryton écossais Michael Mofidian, qui vient d'intégrer le Jeune ensemble du Grand-Théâtre de Genève, et dont le timbre somptueux, le legato impeccable, et la présence irradiante ne manquent pas d’impressionner. Enfin, le jeune ténor français Julien Henric (également dans le Jeune ensemble) campe un Sir Hervey au timbre fièrement projeté.


Anna BOlena, Grand Théâtre de Genève © Magali Dougados

Mais qu’est-il donc arrivé à Mariame Clément ? Après ses lectures décapantes d’ouvrages tels que Armida à Anvers ou La Calisto à Strasbourg, on ne s’attendait certes pas à une reconstitution d’époque, tant dans la scénographie que dans les costumes (au demeurant de toute beauté, signés par la fidèle Julia Hansen), ni à un déroulement de l’action sans heurt ni anicroche… Si ce n’est la fantaisie de vêtir Lord Percy d’une chemise Zara aux manches retroussées qui laissent découvrir des avant-bras tatoués (dans ce qui est devenu une mode d’introduire des aspects contemporains pour mieux atemporaliser le drame...), tout apparaît ici d’un classicisme de bon aloi. Le magnifique quadrilatère d’un bleu turquin, posé sur une tournette, laisse apparaître tour à tour une riche salle palatiale ou l’image d’une forêt luxuriante. Et les seules audaces de la mise en scène seront de faire apparaître, d’abord deux (énormes) têtes de mésanges bleues, puis le cadavre d’un immense cerf, dont la symbolique nous a échappé. Mais l’idée maîtresse de Mariame Clément (que l’on a déjà vue ailleurs…) et de rendre omniprésent le personnage d’Elisabeth en tant qu’enfant, mais aussi de laisser entrevoir à certains moments-clés de l’action et cette fois à l’âge adulte, la Reine Elisabeth 1ère.

En fosse, le très rock’n’roll chef italien Stefano Montanari obtient, de la part d’un superbe Orchestre de la Suisse Romande, un accompagnement magnifique de panache et de vitalité. A la fois nerveuse sur un plan rythmique et engagée au niveau dramatique, sa direction sait pourtant respecter la personnalité des chanteurs qui ne se voient ainsi jamais en danger d’être relégués au second plan. Quant aux choristes du Grand-Théâtre de Genève, ils se comportent très honorablement et méritent les plus vifs éloges aussi bien pour leurs qualités musicales que pour leur tenue scénique.

Emmanuel Andrieu

Anna Bolena de Gaetano Donizetti au Grand-Théâtre de Genève, jusqu’au 7 novembre 201

Crédit photographique © Magali Dougados

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