Don Carlos en VF et en majesté à l'Opéra Royal de Wallonie

Xl_ensemble___op_ra_royal_de_wallonie_-_li_ge__2_ © Opéra Royal de Walllonie-Liège

Après Paris et Lyon il y a deux saisons (lire ici et ), Anvers il y a tout juste trois mois, c’est au tour de Liège de (re)mettre à l’honneur Don Carlos de Giuseppe Verdi dans sa version originale française… et avec un éclatant succès à tous les niveaux ! Si la (pourtant) très belle musique de ballet (dite de La Peregrina) passe une fois de plus à la trappe, ce sont un peu plus de quatre heures de musique qui sont données ici à entendre, soit la quasi intégralité de la partition, telle que même le public parisien à la création de l’ouvrage en 1867 n’a pas pu la découvrir... De fait, ce ne sont pas moins de huit morceaux sacrifiés lors de la première parisienne qui ont été retenus dans la cité mosane, depuis le chœur des bûcherons introductif de l’acte de Fontainebleau jusqu’à de nombreux passages si essentiels, éclairant les rapports complexes entre les différents protagonistes du drame, tel le duo entre Eboli et Elisabeth au IV, ou l’air « Qui me rendra ce mort » dans lequel Philippe II déplore la mort de Posa qu'il a pourtant ordonnée.


Ensemble © Opéra Royal de Wallonie - Liège


Yolanda Auyanet - Gregory Kunde © Opéra Royal de Wallonie - Liège

Le lecteur s’en sera douté, confiée au maître des lieux Stefano Mazzonis Di Pralafera, la mise en scène s’avère ultra-classique. Dans de somptueux décors changés à vue (quasi à chaque tableau !), aussi élégants que rutilants, la cour de l’Espagne de l’Âge d’or semble renaître sous les yeux des spectateurs (photo). Sans être magistrale, la direction d’acteurs permet d’exposer les lignes de force du livret avec efficacité, moyennant quelques très bonnes idées de mise en scène, comme celle de montrer les vrais liens qui unissent Philippe II et la Princesse Eboli lors d’une pantomime qui reste l’un des temps forts, dramatiquement parlant, de la soirée. Une place toute spéciale est également accordée au Moine, témoin aussi silencieux qu’omniprésent du drame qui se joue sur scène…

A 65 ans, le ténor américain Gregory Kunde demeure un miracle de fraîcheur vocale, et campe un Don Carlos de haute lignée, avec une excellente diction de notre idiome. Sa projection vocale est suffisamment impressionnante pour rendre parfaitement justice aux explosions de rage contre son père, de même qu’il sait alléger son émission pour rendre plus que crédible ses effusions amoureuses envers Elisabeth. Seul le jeu scénique pèche quelque peu, mais c’est un reproche que l’on pourra faire à quasiment toute l’équipe vocale, et qui peut s’expliquer par le poids et la raideur des (néanmoins somptueux) costumes (d’époque) conçus par le fidèle Fernand Ruiz. La superbe chanteuse espagnole Yolanda Auyanet ne lui cède en rien, et toutes ses incarnations récentes ont été des moments d’exception : sa Leonora du Trouvère ici-même, sa Norma niçoise, ou déjà son Elisabetta dans la version italienne de l’ouvrage à l’Auditorium de Bordeaux. Là encore, dans un français parfait, elle dresse un portrait tout en nuances de son personnage, avec son timbre charmeur et une voix dont la richesse des accents amplifie la portée tragique de chacune de ses répliques.

C’est néanmoins Posa qui marque le plus les esprits ce soir, tant le baryton wallon Lionel Lhote – décidément prophète en son pays après ses formidables incarnations in loco de Figaro (Le Barbier de Séville), de Zurga ou encore de Carlo (Ernani) – est un modèle absolu de chant français. D’une arrogance et d’une élégance tout simplement inouïes, son Posa est le meilleur que l’on puisse entendre aujourd’hui aux côtés de Ludovic Tézier (avec un timbre peut-être moins immédiatement séduisant, mais plus autoritaire encore…). Souffrante, la mezzo américaine Kate Aldrich ne peut malheureusement donner la pleine mesure de ses grands moyens, et cela s’entend notamment dans de difficiles changements de registre, ainsi qu'une défaillance en terme de projection dont elle n’est pas coutumière en temps normal. De son côté, la basse italienne Ildebrando D’Arcangelo – inquiétant Mephisto (de La Damnation de Faust) sur cette même scène en 2017 – campe un Philippe II au chant scrupuleusement surveillé, qui n’a pas de mal à émouvoir dans son grand air « Elle ne m’aime pas… ». Déjà présent à Anvers dans la production précitée, Roberto Scandiuzzi maîtrise mieux son vibrato ce soir, et impressionne par la projection de son Grand Inquisiteur, à l’instar du Moine de Patrick Bolleire, au registre grave abyssal. Les comprimari sont sans reproche, avec une mention pour le très prometteur ténor belge Maxime Melnik (Comte de Lerme).

Enfin, le succès de la représentation repose aussi sur la direction superlative de l’ancien directeur musical de la maison, un Paolo Arrivabeni qui offre une lecture d’un lyrisme sans faille de la partition de Verdi, à la tête d’un Orchestre et d’un Chœur de l’Opéra Royal de Wallonie qui se surpassent encore plus que de coutume. Autant dire que le bonheur est complet, et le public ne boude pas son plaisir en faisant un triomphe à l'ensemble de l'équipe artistique !

Emmanuel Andrieu

Don Carlos de Giuseppe Verdi à l’Opéra Royal de Wallonie, jusqu’au 14 février 2020

Crédit photographique © Opéra Royal de Wallonie-Liège
 

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