Des Indes barbantes au Grand-Théâtre de Genève

Xl_rameau-indes-galantes-steier-alarcon © Magali Dougados

On ne sait jamais à quoi s’attendre quand on assiste à une nouvelle production des Indes Galantes de Jean-Philippe Rameau car la forme de l’opéra-ballet se prête à tout, permet les excès et les divagations, comme dernièrement à l’Opéra Bastille où la danse hip-hop tenait le haut du pavé dans le production de Clément Cogitore. Au Grand-Théâtre de Genève, c’est l’américaine Lydia Steier à qui Aviel Cahn a laissé champ libre… pour un résultat encore plus décevant qu’à Paris (à nos yeux). Le rideau s’ouvre sur l’image d’une salle de théâtre à l’italienne (encore !) qui a été éventrée par les outrages de bombardements et réaffectée en hôpital (une scénographie signée par Heike Scheele). Là, pendant un bonne partie du spectacle, se mélangent solistes, membres du chœur et danseurs qui s’ébattent pour honorer Hébé, la déesse de la jeunesse, en des gesticulations de plus en plus lascives et répétitives (imaginées par le chorégraphe germano-argentin Demis Volpi). L’arrivée du belliqueux Bellone met fin pour un temps à ces joyeuseries (très vite lassantes pour le spectateur…) et la violence la plus brutale prend le relais : une violence de plus en plus gratuite qui ajoute un sentiment d’agacement à l’ennui que provoquait, avant cela, l’excès de volupté déployé sur scène. Entre ces allers et retours de jouissance ou de violence, peu d’idées qui viennent capter l’attention et il faut attendre la toute fin du spectacle pour que l’on sorte enfin de la profonde léthargie dans laquelle nous nous trouvons plongés depuis plus de trois heures, bien malgré nous... La chaconne finale est ici remplacée par la fameuse « Danse du grand Calumet de la Paix » qui offre une parenthèse enchantée d’où l’émotion surgit enfin : la musique et le chant (« Forêts paisibles ») sont exécutés pianississimi, comme dans un murmure s'évanouissant peu à peu, tandis que de doux flocons de neige tombent en pluie fine des cintres, et que la salle est progressivement plongée dans l'obscurité…   

Même si l’ennui scénique finit par déteindre sur la soirée au détriment du chant et de la musique, le plaisir musical est quand même au rendez-vous, grâce notamment à la direction de Leonardo Garcia Alarcon (à la tête de son ensemble de la Cappella Mediterranea), souple et jamais forcée, avec des tempi variés et de multiples couleurs instrumentales. Les danses, si belles et si essentielles à l’esprit ramiste, trouvent ici une évidence et une nécessité imparables. La distribution est également excellente, avec une mention toute spéciale pour la soprano russe Kristina Mkhitaryan (Hébé, Emilie, Zima), omniprésente sur scène, qui déploie une voix charnue et fruitée à la fois, doublée d’une énergie scénique communicative. Côté masculin, la palme revient à François Lis (Huascar, Don Alvaro), qui parvient à exprimer les sentiments quelque peu complexes de son premier personnage, avec une voix dont le registre grave fait toujours parcourir le frisson. Si les deux autres basses italiennes, Renato Dolcini (Bellone, Osman, Adario) et Gianluca Buratto (Ali), s’avèrent également très solides, on remarque surtout la prestation du ténor français Cyril Auvity (Valère, Tacmas), inégalable en sa tessiture à mêler émotion et ironie. Son confrère italien Anicio Zorzi Giustiniani (Don Carlos, Damon) se démarque par un timbre plus corsé. Quant à Roberta Mameli (Amour, Zaïre) et Claire de Sévigné (Phani), elles ont beau faire assaut de fraîcheur, la soprano égyptienne Amina Edris leur dame le pion auprès des spectateurs grâce à son fameux air « Papillons inconstants », qu’elle délivre de manière aussi exquise que radieuse.

Emmanuel Andrieu

Les Indes Galantes de Jean-Philippe Rameau au Grand-Théâtre de Genève, jusqu’au 29 décembre 2019

Crédit photographique © Magali Dougados

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