Csilla Boross triomphe dans le redoutable rôle-titre de La Gioconda de Ponchielli aux Chorégies d'Orange

Xl_la_gioconda_aux_chor_gies_d_orange © Philippe Gromellle

Après le premier titre plutôt intimiste et léger qu’est L’Elisir d’amore, les Chorégies d’Orange et son directeur Jean-Louis Grinda viennent de clôturer leur édition 2022 avec La Gioconda d’Amilcare Ponchielli, l'un des ouvrages les plus dramatiques du répertoire lyrique, absent de la manifestation provençale depuis 1983 (Montserrat Caballé y incarnait à l'époque le rôle-titre !). Si d’aucuns taxent encore cette partition de facilité, voire de médiocrité, c’est oublier pourtant sa place cruciale dans l’opéra italien, car Ponchielli y a cherché à renouveler le discours musical italien dont Verdi était devenu le porte-parole. Puisant à la source du grand opéra français alla Meyerbeer, le compositeur y annonce certains choix futurs de son illustre compatriote, mais jette surtout les bases du vérisme. La principale protagoniste, avec son chant fier et passionné, de chair et de sang, est la sœur aînée de Tosca, Santuzza ou Maddalena di Coigny, tandis que l’orchestration trahit toutes les préoccupations de la fin de siècle.

Après la défection de la soprano Soaia Hernandez (selon nous une sage décision car ce rôle, parmi les plus lourds du répertoire italien, nous semblait arriver de manière trop précoce dans sa jeune carrière), c’est la plus expérimentée Csilla Boross qui incarne, au final, le rôle-titre. Et l’on pouvait compter sur la soprano hongroise (sans doute l'une des meilleures Abigaille de notre temps), pour parvenir à maîtriser de bout en bout l’écrasante tessiture de son personnage, avec des aigus à la fois sûrs et un réel souci des nuances. Sa voix s’épanouit ainsi dans les fortissimi les plus exigeants, mais se plie avec aisance aux pianissimi les plus ténus, sa magnifique prestation culminant dans un « Suicidio ! » qui offre tout le frisson attendu. L’actrice se montre par ailleurs convaincante, et ses dialogues avec la Cieca de la contralto étasunienne Marianne Cornetti, au timbre riche et ample, font partie des climax de la représentation. En termes de beauté vocale et de puissance sonore, la mezzo française Clémentine Margaine ne leur cède en rien, et le duo des rivales soulève également un véritable enthousiasme dans le public.

Le cas de Stefano La Colla (remplaçant Fabio Sartori, comme à La Scala en juin dernier dans le même rôle) est un peu plus problématique. Le ténor italien possède indéniablement un beau timbre gorgé de soleil, mais l’aigu se montre à plusieurs reprises incertain, et le souffle ne répond que de manière imparfaite. De son côté, le baryton italien Claudio Sgura (pour Amartuvshin Enkhbat initialement annoncé) apporte à Barnaba une élégance et un raffinement que ses confrères lui refusent d’ordinaire, mais il finit par en oublier la dimension maléfique de l’espion de l’Inquisition, avec une voix qui perd de son mordant et de son ampleur sur le vaste plateau orangeois, surtout par rapport à son Carlo Gérard (dans Andrea Chénier) au Teatro Nacional Sao Carlos de Lisbonne il y a de cela un mois. Pour courte que soit sa partie, la basse russe Alexander Vinogradov n’en campe pas moins un imposant Alvise, car doté d’une voix emplie de noblesse et d’une présence scénique qui capte l’attention. Enfin, les chœurs conjugués des opéras d’Avignon, Monte-Carlo et Toulouse abordent la partition de Ponchielli comme s’il s’agissait d’un Verdi de la maturité, avec un engagement total, et même du panache.

Classique et de bon goût, comme toujours, serions-nous tenté de dire, la mise en scène de Jean-Louis Grinda évoque la Venise du 17ème siècle d'abord au travers des somptueux costumes conçus par feu Jean-Pierre Capeyron (un emprunt à une autre production de l’ouvrage que le maître des lieux avait signée pour l’Opéra de Nice en 2006), et surtout – plus que par la scénographie dépouillée de Laurent Castaingt qui règle en revanche de fabuleux éclairages – grâce aux mirifiques projections vidéo signées Etienne Guiol et Arnaud Pottier, mapping qui coure sur toute la largeur et hauteur de l’immense mur du Théâtre Antique : images de mâts de navires (tandis qu'une kyrielle de cordages sont tirés de part et d’autre de la scène), rapellant cet élément essentiel qu'est la mer dans l'ouvrage, ou cette immense fresque du Tintoret, dans le dernier acte, qui apportent à la production le spectaculaire que l'on est en droit d'attendre sur la scène des Chorégies !

Mais le grand triomphateur de la soirée est sans conteste le chef italien Daniele Callegari, placé à la tête d’un rutilant Orchestre Philharmonique de Nice (dont il vient de prendre les rênes comme chef principal). Flamboyante, intense, toute latine, la direction du maestro milanais envoûte autant dans le registre de la passion extrême, qui gouverne ici un triangle amoureux de forts caractères, que dans une page aussi délicate que la célèbre Danse des heures (mais dans une chorégraphie de Marc Ribaud sans histoire et pour tout dire ennuyeuse). De mémoire de spectateur assidu de l’Opéra de Nice, nous n’avions jamais entendu la phalange niçoise faire preuve d’une telle énergie et d'un tel raffinement sonore. Voilà qui est donc de très bon augure pour cette maison désormais chapeautée par l’excellent programmateur qu’est Bertrand Rossi.

Emmanuel Andrieu

La Gioconda d’Amilcare Ponchielli aux Chorégies d’Orange, le 6 août 2022

Crédit photographique © Philippe Gromelle

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