Anna Pirozzi, captivante Manon Lescaut à l'Opéra Royal de Wallonie

Xl_lescaut © Lorraine Wauters

Est-ce parce qu’on lui reproche son manque d’unité stylistique et la disparité de ses sources d’inspiration que l’on ne monte que rarement (hors l’Italie) la Manon Lescaut de Giacomo Puccini ? Ou est-ce parce que l’œuvre de Massenet lui fait toujours écran ? Toujours est-il qu’à la scène, elle « sonne » véritablement comme un drame de l’auteur de Bohème et Butterfly et que ses faiblesses dramatiques ne sont pas pires que celles d’autres opéras. Et c’est le principal mérite de la jeune cheffe italienne Speranza Scappucci – nouvelle directrice musicale de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, qui nous avait tant impressionné dans son exécution de Jérusalem ici-même en mars dernier – de parvenir à lui donner une colonne vertébrale inflexible, et à lui restituer un discours cohérent, sans gommer pour autant les composantes qui la caractérisent. Sous sa baguette, l’Orchestre Royal de Wallonie-Liège sonne superbement, et ne tombe pas dans le piège de la sensualité dégoulinante, qui trouve généralement son apogée dans l’illustre Intermezzo du troisième acte. Par sa lecture, Scappucci démontre au contraire avec éclat que Puccini n’était ni Giordano, ni Mascagni, bref qu’il n’est en rien un compositeur vériste, mais un musicien fort sensible aux nouvelles tendances de la musique européenne, germanique en particulier.

Dans le rôle-titre, la soprano napolitaine Anna Pirozzi – dont on ne risque pas d’oublier l’Abigaïlle monégasque il y a un an – domine la distribution et livre une Manon aux facettes multiples, coquette mais rarement frivole, passionnée ou mélancolique, vivant avec intensité les affres de la mort. Cette belle prestation d’actrice est servie par une voix ample et souple à la fois, et ses deux grands airs (« In quelle trine morbide », « Sola, perduta, abbandonata ») sont chantés avec les ressources d’une technique et d’une sensibilité exceptionnelles. Des Grieux est actuellement un des emplois majeurs du célèbre ténor sicilien Marcello Giordani, véritable pilier du Met et en grande forme ce soir. Encore fringant à plus de cinquante ans passés, Giordani compose avec fierté un Des Grieux juvénile, lumineux, exemplaire de tenue musicale et débordant d’éclat. Brillant Nabucco in loco la saison passée, le roumain Ionut Pascu chante Lescaut avec une voix de baryton sonore et incisive, ainsi qu’une présence instinctive. De son côté, le vétéran belge Marcel Vanaud apporte à Géronte les ressources d’un métier toujours efficace. Parmi les seconds rôles, notons encore la fraîcheur de voix du jeune ténor italien Marco Ciaponi (Edmondo), tandis qu’Alexise Yerna (Il Musico) sonne moins crécelle que d’habitude.

A ses atouts proprement musicaux s’ajoute l’efficacité d’une mise en scène (signée par le maître des lieux, Stefano Mazzonis di Pralafera) qui, tout en rendant hommage aux fêtes galantes (magnifique appartement d’apparat au II) sait aussi, au moment venu, faire preuve d’austérité (désert de sable rouge au IV). On passe ainsi d’un premier et deuxième tableaux très animés (la scénographie est signée par Jean-Guy Lecat) à un dernier acte d’un dépouillement qui annonce déjà la mort. Mais il faut également évoquer le superbe paquebot qui amène le malheureux vers les Amériques au III, image qui imprime fortement la rétine (photo). Bref, Mazzonis joue une fois de plus la carte de l’efficacité dramatique et de la lisibilité, et des frondaisons d’Amiens au désert de la Nouvelle-Orléans, le triste destin de Manon n'en trouve pas moins là les couleurs les plus justes.

Emmanuel Andrieu

Manon Lescaut de Giacomo Puccini à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, jusqu’au 30 septembre 2017

Crédit photographique © Lorraine Wauters
 

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