Alcina inaugure le premier mandat de Cecilia Bartoli à l'Opéra Monte-Carlo

Xl_philippe_jaroussky_et_cecilia_bartoli_dans_alcina_de_haendel___l_op_ra_de_monte-carlo © Marco Borrelli

Annoncée en fanfare en décembre 2019, la succession de Jean-Louis Grinda par Cecilia Bartoli à la tête de l’Opéra de Monte-Carlo avait fait grand bruit dans la sphère lyrique à l’époque. C’est néanmoins seulement en septembre dernier que la célèbre cantatrice a dévoilé sa première (demi) saison 2023, en attendant de reprendre un calendrier 2023/2024 « normal » dés octobre prochain. Sans grande originalité (La Traviata, Les Noces de Figaro, Le Barbier de Séville), hors les deux premiers titres – Alcina de Haendel et Andrea Chénier de Giordano avec Jonas Kaufmann –, sa saison s'ouvre donc avec l’ouvrage haendélien dans lequel elle s’est auto-confiée le rôle-titre.

Après avoir déjà été donnée en simple version de concert en 2016, l’œuvre du Caro sassone était montée pour la première fois scéniquement dans la Principauté monégasque, dans une mise en scène (importée de l’Opernhaus Zürich) signée par l’allemand Christof Loy, dont c’est l’une des réalisations les plus inspirées et abouties. Son travail à la fois festif, esthétique, dramatique, souvent décalé mais lisible, lui permet de passer avec maestria d’un registre à l’autre, en même temps que la magicienne évolue psychologiquement, comme visuellement – du somptueux costume XVIIIe emperruqué à la stricte robe courte et noire d’aujourd’hui et coiffée d’un chignon austère. Théâtre dans le théâtre, le spectacle commence comme une luxueuse reconstitution baroque et évolue progressivement vers une vérité très actuelle, tout en conservant certains éléments anachroniques dans chacune des périodes, d’où un permanent contraste d’époques. On apprécie aussi l’humour de la production, comme le Cupidon décrépi sorti d’une malle, muet mais très actif, joué par une délicieuse vieille dame.

Après nous avoir fait faux bond en novembre dernier à l’Opéra de Florence, dans le même rôle, Cecilia Bartoli répond bel et bien présente ce soir, mais amoindrie en raison d’un problème de ménisque qui la fera arriver en boitant au moment des saluts – après que son mari Oliver Widmer eut informé le public des déboires osseux de la chanteuse avant la représentation. Nulle trace de ces soucis de mobilité, en revanche, sur son chant d’une fraîcheur et d’une pureté miraculeuses. On ne peut qu’admirer la variété comme l’intensité de la palette belcantiste de l’artiste, comme son art des nuances, qui font merveille dans ses quatre airs, dont un « Ah mio cor » qui a fait fondre le public, même si on l’a entendu délivré de plus bouleversante façon (Orgonosova, Harteros...), là où La Bartoli ne fait qu’émouvoir (ce qui n'est déjà pas mal) !

De son côté, la mezzo arménienne Varduhi Abrahamyan mord avec gourmandise dans d’interminables vocalises, et incarne une Bradamante assurément plus combative que gémissante. Légère déception, en revanche, pour le Ruggiero de Philippe Jaroussky, un rôle qu’il a déjà interprété in loco en 2016, mais avec beaucoup moins de panache vocal cette fois. Si le raffinement infini de la ligne de chant continue de subjuguer, il peine désormais dans l’ambitus impossible de son personnage (surtout dans l’air « Sta nell’incarna »), avec des graves à la peine et un registre aigu qui n’a plus l’éclat d’antan. L’acteur s’avère en revanche épatant, et c’est sans se démonter qu’il se prête au jeu de l’improbable (et très physique) chorégraphie signée par Thomas Wilhelm, qui accompagne son dernier air. Sandrine Piau incarne une frémissante Morgana, qui brille dans son premier grand air « Tornami a vagheggiar », et émeut profondément dans son deuxième. Le ténor russe Maxim Mironov est dans son élément en Oronte, auquel il prête son très beau timbre velouté, projetant avec ferveur ses mots, et virevoltant dans le suraigu avec une hardiesse folle. Enfin, la basse hongroise Peter Kalman, malgré quelques problèmes d’intonation, prête avec efficacité son timbre rocailleux et sonore au personnage de Melisso.

Last but not least, l’enthousiasme du public à l’issue de ce spectacle s’adresse également à la cohésion superbe des Musiciens du Prince-Monaco. Mais l’artisan de ce succès reste sans contredit leur directeur musical, le chef italien Gianluca Capuano, qui prouve une fois de plus qu’il est l’une des meilleures baguettes actuelles de la musique baroque. Dirigeant avec d’amples gestes, il vit la musique et la communique à l’orchestre comme au plateau avec une précision absolue et une musicalité incroyable.

Une grande soirée haendélienne, qui paraît de bon augure pour le début de l'ère Bartoli sur le Rocher (mais en espérant une deuxième saison plus audacieuse dans le choix des titres) !

Emmanuel Andrieu

Alcina de Georg Friedrich Haendel à l’Opéra de Monte-Carlo – du 20 au 26 janvier 2023

Crédit photographique © Marco Borrelli

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