Une lumineuse Madame Butterfly clôt la saison de Nancy

Xl_madama_butterfly_c2images_pour_l_op_ra_national_de_lorraine__18_ © C2images pour l’Opéra national de Lorraine

C’est par une nouvelle production que l’Opéra national de Lorraine a décidé de clore sa saison à Nancy, celle de Madame Butterfly, dans une mise en scène signée Emmanuelle Bastet, qui avait déjà repris ici son Hansel et Gretel en 2017, alors salué par notre confrère Thibault Vicq. Force est de reconnaitre qu’une fois encore, la simplicité intelligemment pensée de la metteuse en scène est une belle réussite.


Sunyoung Seo (Cio-Cio-San) et Edgaras Montvidas (Pinkerton);
© C2images pour l’Opéra national de Lorraine


L’enfant, Sunyoung Seo (Cio-Cio-San) et Cornelia Oncioiu (Suzuki) ;
© C2images pour l’Opéra national de Lorraine

Ici, point de frou-frou, de tape à l’œil ou d’excès japonisant, mais un décor unique fait de bois, sobre et élégant, permettant de se plonger sans effort dans un Japon noble et simple. La scène forme une sorte de dune – ou de vague –, derrière laquelle on imagine la vue sur le port et faisant écho à la coline dont il est question dans le livret pour accéder à la maison, tandis que plusieurs panneaux de bois glissants et pivotants permettent de moduler la maison et ses intérieurs. A cela s’ajoute côté cours un petit bassin creusé dans lequel se situe un rocher lisse qui disparaîtra finalement au départ de Pinkerton. Aussi simple qu’efficace. La direction d’acteurs permet elle aussi une lecture aisée, chaque personnage étant habilement défini par sa tenue et ses déplacements, comme lorsque Goro semble se cacher pour mieux écouter ce qui se passe, le posant derechef comme l’être antipathique que fait de lui le livret plus tard. Quant à l’attitude de Pinkerton écrasant sa cigarette sur le rocher et trempant ses pieds dans le bassin alors que Suzuki lui chante les paroles du sage Okumana, elle est sans équivoque et pose là aussi le personnage pour le jeune homme occidental qu’il est, irrespectueux des traditions et des femmes. Saluons également les formidables lumières de Bernd Pukrabek qui, en appui au décor, permettent de délimiter la maison mais aussi d’offrir de superbes tableaux, dont les plus mémorables restent ceux de la nuit, les étoiles apparaissant à travers le bois du décors et emmitouflant le couple d’une douce obscurité, et du jardin, lorsque les fleurs descendent des cintres, ou encore le lever de soleil qui naît de la lumière plus ou moins intense, toujours à travers le décor en bois recouvrant une partie de l’arrière-scène et le sol. Enfin, la présence importante de l’enfant de Cio-Cio-San, par un enfant de huit ans et non de trois comme le mentionne le livret, donne une touche et une douleur supplémentaires, permettant également d’intégrer le symbole du papillon par son cerf-volant et celui du bateau de la marine par son autre jouet.

Si le Goro de Gregory Bonfatti manque de projection et reste secondaire, le Bonze de Nika Guliashvili résonne de son ample profondeur, marquant les esprits malgré la brièveté de son rôle. Dario Solari offre à Sharpless une voix bienveillante, claire et assurée, dans laquelle transparaissent la gêne du rôle qui lui incombe, ainsi que la colère envers la naïveté de Cio-Cio-San qui ne lui laisse pas faire sa terrible annonce. Philippe-Nicolas Martin est un Prince Yamadori au timbre amoureux ou plutôt amoureux léger et Gilen Goicoechea est un commissaire impérial droit dans ses bottes. Quant à Cornelia Oncioiu, si la projection semble au départ moyenne comme celle de ses collègues, elle gagne en intensité pour offrir une servante dévouée, pleine de tendresse envers sa jaune maîtresse, souffrant de ses malheurs, heureuse de ses bonheurs.


Sunyoung Seo (Cio-Cio-San) et Edgaras Montvidas (Pinkerton) ;
© C2images pour l’Opéra national de Lorraine

Enfin, le couple est ici d'abord formé du Pinkerton haïssable et parfaitement détestable d’Edgaras Montvidas (magistral Werther ici-même en 2018). A la lumière que nous lui connaissions, il pare ici sa voix de nuances méprisantes, à l'image de ce rôle antipathique à souhait, et parvient à ne pas rendre le personnage trop charismatique mais assez pour expliquer l’amour que lui porte son épouse japonaise, capable d’élans de tendresse dans le duo après leur mariage, puis donnant à voir un homme plus mature lors de son retour, comprenant le caractère odieux de son comportement sans pour autant parvenir à l’assumer, lançant ses ultimes « Butterfly », déchirants. Face à lui, l’héroïne est interprétée par Sunyoung Seo. Si, dans un premier temps, on pourrait noter pour seul bémol un certain manque de nuances dans le chant – à l’exception du moment où elle comprend la situation et où le chant, moins parfait, en devient plus beau encore par la fêlure qui y transparait – ce bémol s’atténue significativement quand on rappelle qu’il s’agissait là d’une prise de rôle ! Pour une première Butterfly, la soprano s’investit comme il est rare de le voir, offrant un chant coloré sans faille (hormis de la scène évoquée ci-dessus), ce qui le rend peut-être trop « parfait » pour ce rôle de femme et de mère brisées, mais gageons que l'interprétation s'affinera très vite au regard du talent de la chanteuse. Epoustouflante de bout en bout, les intentions se ressentent, tant le patriotisme américain que les joies de l’amour naissant ou la certitude du retour de son mari et les rêveries, guidées par un jeu sur scène tout aussi excellent que la prononciation ou les attaques plus ou moins marquées selon l’intention donnée. A n’en pas douter, nous assistons là à la naissance d’une grande Butterfly qui, une fois parée des quelques nuances qui peuvent manquer dans ce jeune chant, devrait devenir une Butterfly d’envergure.

Le Chœur de l’Opéra national de Lorraine, préparé par Merion Powell, offre lui aussi grande satisfaction en modulant à souhait sa puissance sonore, tandis que l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy se montre en pleine forme sous la direction de Modestas Pitrènas qui en tire le meilleur, accompagnant les douleurs et les joies de la scène.

Le public ne s’y trompe pas et offre des applaudissements bien mérités à une production lumineuse, simple et efficace, encore ému de l’ultime sacrifice du papillon Cio-Cio-San, victime innocente de la bêtise d’un homme.

Elodie Martinez
(à Nancy, le 23 juin)

Madama Butterfly à l'Opéra national de Lorraine, jusqu'au 2 juillet.

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