Rinaldo aux Grands Concerts de Lyon : une prise de rôle surprise !

Xl_rinaldo © DR

Nous ne nous lasserons jamais de répéter à quel point la Chapelle de la Trinité (à Lyon) est un lieu magnifique et envoûtant pour Les Grands Concerts. Nous ne pouvons également que souligner, encore une fois, que ces derniers sont un véritable gage de qualité en matière de programmation, parvenant à faire venir dans la capitale des Gaules certains des plus grands noms de la scène internationale, comme Cecilia Bartoli et Philippe Jaroussky en 2017 (marquant le retour en ville de la cantatrice après environ 30 ans d’absence) ou encore Emőke Baráth en février dernier. Il n’est alors pas étonnant que la Chapelle de la Trinité s’inscrive dans des tournées qui débutent ou arrivent ensuite à Paris, voire dans d’autres salles prestigieuses. C’était notamment le cas de la version concertante de Rinaldo, donnée samedi soir avant de partir pour Versailles le lendemain, puis d’être reprise à la Philharmonie de Moscou le 23 avril et au Theater an der Wien le 27 avril.

Las, on le sait, tout spectacle court le risque d’annulations de la part des artistes qui peuvent, comme tout un chacun, tomber malade. C’est ce qui s’est passé pour le rôle-titre attendu ici, Filippo Mineccia malheureusement souffrant. Ainsi que le rappelle Jean-Christophe Spinosi en fin de soirée, on fait généralement appel à un artiste connaissant déjà le rôle dans ce genre de remplacement « au pied levé ». Le hasard des dates a fait que personne n’était disponible, et c’est Eric Jurenas, initialement annoncé dans le rôle d'Eustazio, qui a véritablement sauvé le concert en acceptant d’endosser le rôle de Rinaldo. Difficile donc de lui tenir rigueur du stress que nous devinons dans la voix qui frotte, comme si l’air n’était pas assez canalisé pour sortir plus « proprement ». Le chant n’est pas aussi pur qu’on le souhaiterait, les attaques manquent parfois d’assurance – comment le lui reprocher ? – et l’appui de la partition empêche une connivence plus marquée avec les autres personnages, mais, encore une fois, on l'excusera volontiers compte tenu des circonstances. Passer d’un rôle secondaire au premier rôle a de quoi être stressant, d’autant plus quand il s’agit, de surcroit, d’une prise de rôle ! Il faut donc saluer la performance tenue jusqu’au bout sans dérapage et remercier le contre-ténor d’avoir accepté une telle mise en danger.

Le rôle d’Eustazio étant vacant, c’est Evann Loget-Raymond que l’on retrouve, lui que nous avions entendu lors du Gala Händel de l’Académie Jaroussky à La Seine Musicale en décembre 2017. Aidé lui aussi de la partition, il en vient à bout sans accros et convainc dans ce rôle relativement court. Celle qui ne nous convainc pas en revanche, c’est Dara Savinova. Bien qu’à la hauteur d’Eustazio au Festival de Martina Franca 2018, le rôle de Goffredo ne semble pas lui correspondre, bien qu’il soit lui aussi généralement tenu par un contre-ténor. La projection est parfois un peu faible, notamment dans les graves que l’on devine pourtant chaleureux, et la ligne de chant n’est pas toujours très claire, ce qui n’exclue pas de beaux moments et une belle écoute de sa part. Ekaterina Bakanova campe pour sa part une Almirena amoureuse et solide, parfaite dans son refus catégorique face aux avances d’Argante ou dans son rôle de captive. Elle livre d’ailleurs un sublime « Lascia ch'io pianga » dans l’acte II, suspendant le temps. Sa voix solaire n’a pas de mal à porter et l’on peut se douter qu’elle est entendue jusqu’au fond de la chapelle, de même qu’Emilie Rose Bry (que nous avions entendu en Drusilla en 2017). Formidable Armida, charmeuse charmante de bout en bout, enflammée et enflammante, toute en séduction dès son entrée sur scène avec sa robe verte fendue. Son pouvoir va au-delà de la partition, puisqu’elle dirige par moment l’ensemble, stoppant par exemple le bras du chef pour suspendre la musique. Envoûtante par son jeu, sa voix nous emporte elle aussi, complétant à merveille le portrait de l’ensorceleuse. Son amant, sous les traits et la voix de Riccardo Novaro, mérite tout autant d’éloges, déployant son charisme dès qu’il touche la scène, posant son personnage dès son apparition. Le couple est porté au sommet, la noirceur et l’amour se mariant parfaitement dans cette voix masculine profonde. Le duo entre eux est enflammé, mais le chef militaire est tout aussi convaincant, comme lorsqu’il exhorte son armée pour la bataille finale (les musiciens lui répondant alors tels ses soldats).

A la tête de l’Ensemble Matheus, toujours aussi excellent, Jean-Christophe Spinosi fait vivre chaque note, dirige avec fougue et intelligence, à l’écoute de chacun de ses pupitres, veillant à un équilibre adroitement maîtrisé. L’ensemble est ainsi harmonieux et suit avec adresse les solistes, résonnant dans ce bel écrin qu’est la Chapelle de la Trinité. Les lumières, toujours adroitement utilisées, aident à créer les différentes atmosphères, comme en teintant le fond de rouge à chaque apparition d’Armida. Dommage toutefois que le surtitrage ne soit pas davantage lisible, déformé par les courbes du bâtiment après avoir été absent dans un premier temps. Il faut dire que le lieu n’est à l’origine pas prévu pour y lire un texte projeté, mais peut-être une solution pourra-t-elle être trouvé pour d’autres versions de concert ? Il serait en effet dommage, après une telle soirée, de ne pas renouveler ce genre de rendez-vous.

Elodie Martinez
(Lyon, le 6 avril 2019)

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