Chronique d'album : "No(s) Dames", de Théophile Alexandre et du Quatuor Zaïde

Xl_nos_dames © DR

« Poignardées, malades, suicidées, brûlées vives, défenestrées, tuées par balle, empoisonnées, délaissées, noyées, pendues, étranglées…
En quatre siècles d’opéras masculins, le sort réservé aux héroïnes est aussi monstrueux que leurs airs sont sublimes… Et si, pour une fois, Drame ne rimait plus avec Dame ? Et si l’on osait inverser les rôles ? Et si l’on décorsetait les stéréotypes de genre ? »

Ce sont par ces mots que s’ouvre le livret qui accompagne le disque No(s) Dames de Théophile Alexandre et du Quatuor Zaïde qui paraît aujourd'hui chez NoMadMusic. Un « hommage dégenré aux héroïnes d’opéra », où les quatre musiciennes empoignent de mains de maîtres la direction musicale tandis que les agonies d’amour des protagonistes féminins reviennent au contre-ténor.

Le principe est ainsi lisible et annoncé avant même la première note. Après ADN Baroque (où chant et danse se mêlaient), le contre-ténor poursuit son exploration du répertoire lyrique, toujours avec un prisme nouveau et surtout travaillé en amont. Le projet naît notamment d’un constat simple : à l’opéra, « la place des femmes est pour le moins ambiguë, conjuguant somptueux et monstrueux, airs sublimes et rôles assassins ». De plus, « sous les velours et les dorures, l’aria de diva sonne souvent l’hallali, la femme n’est reine que dans l’arène ». Le livret offre d’ailleurs de belles explications, en plus des textes (traduits) et des photos joliment mises en scène. Il est ici un argument pour préférer la version physique du disque plutôt que numérique. Quant au dos de la jaquette présentant l’ensemble des airs, il affiche également en face de chaque héroïne sa fin tragique : « Eurydice En Enfer », « Jeanne Brûlée vive », « Amalia Poignardée », etc. L’écrin participe donc pleinement au message du bijou qu’il renferme.

Présenté sous forme de cadavre exquis, le programme regroupe quelque 23 héroïnes et airs piochés dans un large panel d’œuvres et de compositeurs (Gluck, Bellini, Bizet, Tchaïkovsky, Mozart, Cavalli...). Le travail d’arrangement d’Eric Mouret est à saluer, et permet de « transformer ces épopées pour soprano et orchestre en quintette pour cordes et voix de contre-ténor » tout en conservant la « flamboyance orchestrale » mais aussi l’intimité chambriste. De plus, sur le principe du cadavre exquis, il parvient à annoncer ou mêler certains airs, comme lorsque la Barcarolle se teinte de tango et que le passage à Carmen se fait sans pause, le premier devenant comme un prélude au second. Loin d’être un « pot-pourri » d’airs lancés à l’oreille de l’auditeur, le projet est donc particulièrement travaillé.

Par ailleurs, si la corde est toujours sensible ici, elle n’est pas pour autant toujours vocale, et celles des instruments se substituent parfois à celles du chanteur. Le Quatuor Zaïde n’est pas présent comme simple accompagnateur de Théophile Alexandre, mais bien pour prendre part à l’histoire, pour amener sa direction mais aussi sa voix. À lui donc l’air de la Reine de la Nuit, « Der Hölle Rache », ou la « Barcarolle » des Contes d’Hoffmann, en plus de la « Danse de Salome » et des divers préludes du disque. Parfaitement mis en avant, le quatuor est tout autant au centre de l’enregistrement que Théophile Alexandre et offre un équilibre magistral. Chacune des musiciennes porte sa voix, mais sans jamais briser le bel ensemble dont elle fait partie. Les lignes instrumentales se lient, se délient, s’assemblent, se complètent, dansent les unes avec les autres… Sans lui, pas de lien ni de liant entre ces morceaux de cadavres exquis. Vif et puissant comme pour « Che fiero momento » ou plus doux et suppliant pour « Deh ! Non volerli vittime » (Norma), le quatuor modère et module, virevolte dans le prélude de La Forza del Destino, colore et nuance avec le talent qui le caractérise depuis sa création.

Les affres du cœur dans « Ah ! mio  cor » (Alcina) s’expriment tant dans les larmes des instruments que dans la voix de Théophile Alexandre qui s’empare avec brio de ces destins au féminin pour leur rendre hommage. La ligne de chant claire, épurée, offre des envolées vers l’éternel sans jamais se laisser aller à la facilité de la répétition : les airs se suivent, se lient, mais ne se ressemblent pas. Le contre-ténor choisit l’intensité qu’il souhaite apposer et la nature de l’air qu’il interprète. Son « Solveigs sang » (Peer Gynt) ouvre le disque et apporte rapidement de belles promesses qui seront tenues jusqu’à la fin, ce « Youkali » de Marie-Galante qui ouvre sur un nouvel horizon, un peu comme une étoile dans la nuit, malgré le fait que « c’est un rêve, une folie, il n’y a pas de Youkali »…

Entre ces deux airs se seront succédé bien des héroïnes à qui Théophile Alexandre et le Quatuor Zaïde auront prêté leur voix pour des moments aux beautés multiples. Parmi eux, citons « Addio del passato » (La Traviata), sublime, ou encore « Oh ! Quante volte » et « L’ho perduta » (Le Nozze di Figaro). Le résultat est une écoute dont on ne se lasse pas, fruit d’un travail d’arrangement et de talents multiples qui permet d’entendre ces airs plus ou moins connus d’une oreille nouvelle. Un disque dont il serait dommage de se priver, et un spectacle à voir !

Elodie Martinez

Spectacle en tournée :

- à l'Espace Carpeaux (Courbevoie) le 8 février 2022
- à l'Espace Jean Montaru (Marcoussis) le 15 février 2022
- à l'Opéra de Limoges le 18 février 2022
- au Tangram (Évreux) le 18 mars 2022

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