Chronique d'album : "Amici e Rivali", de Michael Spyres et Lawrence Brownlee

Xl_amici_erato © DR

Le mois dernier, parallèlement au disque de Philippe Jaroussky, Erato sortait également un disque intitulé « Amici e Rivali » dans lequel Lawrence Brownlee et Michael Spyres se donnent la réplique, mettant en avant les ténors rossiniens, tantôt amis, tantôt ennemis.

Les partitions de Rossini regorgent de ténors, et l’on retient tout particulièrement le « tandem de ténors aux voix contrastantes, Andrea Nozzari (1776-1832) et Giovanni David (1790-1864) » qui revit ici par la réunion des deux chanteurs à la renommée internationale. Le livret du disque rappelle en effet comment ce tandem historique fut réuni, ou évoquant encore leurs nombreuses créations de rôles et de duos dans l’œuvre du compositeur italien. Ils semblent bien être ici le fil conducteur qui a notamment participé à la sélection des airs et des œuvres retenus dans l'album.

L’écoute débute avec « All’idea di quel metallo », seul extrait du Barbier de Séville, qui offre une entrée en matière légère et amusante, où le Figaro de Michael Spyres se trouve face au Conte Almaviva de Lawrence Brownlee. On ressent derechef la différence dans l’écriture, plus grave pour le Conte, plus haute pour la légèreté du Barbier, et l’on entre ainsi tout de suite dans le vif du sujet : les nuances de timbres et de voix au sein d'une même tessiture qu’est la famille des ténors. On se rend vite compte qu’un ténor, c’est bien, mais que deux… c’est encore mieux ! La connivence transparait et l’on est emporté dans ce tourbillon amical. L’amitié est aussi ce qui lie Ricciardo et Ernesto dans Ricciardo e Zoraide, qui suit ce premier extrait. Le style envolé du compositeur continue de flatter l’oreille, mais c’est un troisième ténor qui entre en jeu avec le personnage d’Ernesto, Xabier Anduaga, que nous avions justement entendu dans ce rôle au Festival Rossini de Pesaro en 2018. Force est de constater que l’enthousiasme de notre collègue se retrouve ici au disque. Il tiendra également les rôles de Iago et de Carlo (Otello et Armida), dans lesquels on le retrouve toujours avec plaisir, notamment pour le fougueux duo « Non m’inganno: al mio rivale ».

Après Ricciardo e Zoraide, où nous entendons également Michael Spyres en Agorante, donc cette fois-ci en rival de Lawrence Brownlee, nous entrons dans l’univers de La Dame du Lac Donna del lago, autre page de rivalité au cœur de laquelle se trouve bien sûr une femme, Elena, à qui la mezzo-soprano Tara Erraught prête sa voix puissante et colorée, offrant au passage un trio captivant dans l'air « Qual pena in me già desta ». Une autre femme est à l’origine de l’opéra suivant, Elisabettta, regina d’Inghilterra. Les deux ténors s’affrontent ici sur « Deh! Scusa i trasporti », lorsque le fourbe Norfolk tente d’amener le comte de Leicester, injustement emprisonné, à trahir la reine. Rivalité et amitié s'opposent : la seconde est feinte, la première est principalement idéologique ou politique, tandis que la musique apporte une urgence et une palpitation supplémentaire.

Il faudra évidemment compter aussi sur Otello représenté ici non seulement par le duo précité, mais aussi avec deux autres airs, entre Rodrigo, Otello et Desdemona. Dans « Ah! vieni, nel tuo sangue vendicherò le offese », Michael Spyres et Lawrence Brownlee se livrent à une véritable joute vocale, à grand renfort de puissance, d’aigus et d’effets rossiniens, avant que Tara Erraught tente vainement d’apaiser, avant que le torrent musical ne se déverse en toute émotion.

Finalement, avant qu’Armida et son trio de ténors ne viennent clore le disque avec « In quale aspetto imbelle », un retour à l’amitié en feu d’artifice festif, nous retrouvons un livret français, celui du Siège de Corinthe, remaniement de Maometto II. Outre les nombreuses qualités techniques qui se déversent tout le long de l’enregistrement, on appréciera ici tout particulièrement l’excellence de la diction de la langue de Molière.

Au final, difficile de ne pas se faire happer dans l’écoute : tout y est pour attirer l’oreille ! Un, puis deux, puis trois ténors, une mezzo-soprano, des scènes d’amitié, de complicité, de rivalité intense, de tension… et le tout, à la sauce rossinienne avec cette musique qui emporte tout sur son passage, ici sous la baguette experte de Corrado Rovaris à la tête de l’ensemble I Virtuosi Italiani. Les musiciens exaltent la musique de Rossini, et peuvent s’en donner à cœur joie grâce aux voix qu’ils accompagnent. L’ensemble des solistes est en effet un amalgame de talents et de maîtrise technique, ou la virtuosité est de mise et l’amusement complet. Michael Spyres et Lawrence Brownlee – de même que Xabier Anduaga et Tara Erraught – sont en terrain conquis et gambadent dans les partitions avec une aisance superlative – du moins en apparence –, laissant entendre un timbre plus clair et lumineux pour l'un, plus profond pour l'autre. Le résultat est un disque vif qui ravira tout un chacun, illustrant la puissance de l’amitié et de la rivalité, deux ressorts qui, avec l’amour, forment les piliers de bien des opéras.

Encore une belle idée à glisser sous le sapin…

Elodie Martinez

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