Rencontre avec Frédéric Antoun, Tonio dans La Fille du régiment à l'Opéra de Lausanne

Xl_antoun © DR

Nous rencontrons Frédéric Antoun au sortir d'une représentation de La Fille de régiment de Donizetti à l'Opéra de Lausanne, où le (protéiforme) ténor québecois interprétait un Tonio doué de puissance et de nuances face à l'étourdissante Marie de Julie Fuchs. Frédéric Antoun reprendra ensuite le rôle de Ferrando (Cosi fan tutte) à l'Opéra de Marseille le mois prochain, avant de participer, au Festival d'été de Salzbourg, à la nouvelle création de Thomas Adès : L'Ange exterminateur.

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Opera-Online : Comment est née votre sensibilité à la musique classique ?

Frédéric Antoun : Il y a toujours eu de la musique classique à la maison, mais mon goût pour elle est venue relativement tard. Adolescent, j'écoutais plutôt du U2 et du Metallica, et vers mes vingt ans, j'ai été happé par des œuvres comme la 9ème et la 5ème de Beethoven ou les grandes œuvres pour orgue de Bach, et un monde merveilleux s'est ouvert alors à moi. Je ne savais pas trop ce que j'allais faire de ma vie encore à cette époque, je tergiversais énormément, et la musique classique s'est alors imposée comme la voie à suivre ! Au départ je voulais être compositeur, mais j’étais peu inspiré par mes cours d’écriture, et je me suis vite orienté vers le chant dès qu’on m’a offert mes premières expériences professionnelles, comme l’Évangéliste dans la Passion selon Saint Jean de Bach.

Vous êtes passé par le fameux Curtis institute de Philadelphie. Quels souvenirs en gardez-vous ?

Le Curtis Institute of Music, c'est la chance d'une vie ! J'y ai passé trois ans après ma maîtrise à l'Université de Montréal, et c'est l'école de chant la plus prestigieuse du continent américain, avec la Julliard School, à la différence près que la première est gratuite ! (rires) Tout y est basé sur la pratique, avec des coachings tout le temps, et peu de cours théoriques. Par ailleurs, le Curtis Institute laisse beaucoup de liberté à ses étudiants, et j'ai ainsi pu faire mes débuts à la même période à l'Opéra de Montréal, en Pang dans Turandot puis en Roi Ouf 1er dans L’étoile de Chabrier...

Quelles ont été ensuite vos rencontres les plus marquantes ?

Une des plus importantes rencontres à mes tout débuts a été celle avec John Copley, lors d'une production de Roméo et Juliette à l'Opéra de Saint Louis, quand j’étais encore étudiant au Curtis Institute. Il m'a entre autres appris à sourire sur scène, ce qui n'était pas si évident pour moi, surtout si on regarde la bande vidéo de La Flûte enchantée que j'ai chantée à l’Université de Montréal à mes tout débuts, où je fixe le sol pendant toute la durée du spectacle ! (rires) On me disait à l’époque :  « Toi, tu es trop intelligent pour être bon comédien... ». Foutaises... Si on m’avait dit quelque chose comme : « Accroche-toi à deux ou trois émotions dans chaque scène, et projette-les avec tout ton corps », j’aurais compris et ç’aurait été suffisant pour une première fois !

Après avoir chanté Tonio à Londres en 2014, dans la fameuse proposition scénique de Laurent Pelly, vous retrouvez le rôle cette fois à Lausanne, dans une nouvelle mise en scène de Vincent Vittoz. Sous quel aspect retrouvez-vous ce personnage dans cette production ?

Pour commencer, cette participation à la production de Pelly à Londres a été un point tournant pour moi. Ça a été comme un baptême de feu ; je n'avais jamais chanté le rôle, c'était ma première fois à Covent Garden, et comme je remplaçais Juan Diego Florez pour les deux dernières représentations, je n'ai bénéficié d'aucune répétition scénique avec l'orchestre avant ! Sinon, pour revenir au personnage de Tonio dans cette production de Vincent Vittoz, ici à Lausanne, je ne trouve pas qu'il ait vraiment changé par rapport à Londres. Vous savez, c'est la partition qui fait le personnage ; il est vrai que Vincent voulait au départ lui donner un côté plus rustre et sombre que de coutume, mais ça ne fonctionnait pas, à cause de la musique justement... non, la physionomie du rôle reste assez similaire d'une production à l'autre finalement, et dans tous les cas entre celle de Pelly et de Vittoz...

Après avoir participé à la création de Charlotte Salomon, opéra composé par Marc-André Dalbavie pour le festival de Salzbourg en 2014, vous allez participer – cet été toujours à Salzbourg - à celle de L'Ange exterminateur, un ouvrage composé par Thomas Adès. C'est important pour vous de participer à ce genre de projet, de défendre la création et le répertoire contemporains ?

Oh oui, d'autant plus que, comme je vous le disais, mon premier vœu était de composer de la musique ! C'est une bonne chose qu'elle soit défendue dans des festivals aussi prestigieux que celui de Salzbourg, mais aussi dans des maisons comme Covent Garden ou le Met où L'Ange exterminateur sera ensuite repris. Le rôle de Raoul que j'interpréterai dans l'ouvrage a été écrit à mon intention par Thomas Adès, et j'en suis très honoré. Et pour tout vous dire, mon rôle préféré de tous ceux que j’ai chantés et joués sur scène, et bien c'est celui de Caliban dans La Tempête du même Thomas Adès, surtout dans la production de Robert Lepage où il me transformait en véritable bête... à poils bleus ! (rires) L'écriture vocale du rôle – très viscérale, avec beaucoup d'aigus et de sauts de registre inhabituels – me plaît énormément aussi. Mais pour revenir à votre question, oui je considère comme un devoir et un honneur de promouvoir la musique contemporaine.

En plus de la musique contemporaine, vous chantez beaucoup de Belcanto, du Mozart, de la musique baroque, votre répertoire est en fait très varié... mais vous semblez cependant avoir une prédilection pour la musique et le chant français ?...

Oui c'est vrai, j'ai un répertoire très varié, mais il est vrai aussi que je ne veux plus faire de musique baroque française, car ça me tend trop la gorge dans les ornements. Par contre, j'ai une vraie passion pour l’oratorio, car j’aime m’adresser directement au public, et le travail purement musical des répétitions et les polyphonies divines de ces œuvres m’enchantent au plus haut point. Je chante d’ailleurs les Évangélistes de Bach sans partition... donc avis aux personnes intéressées ! (rires)
En ce qui concerne l’opéra, ma voix change, prend de plus en plus de médium, s'élargit, et j'ai donc envie de m'orienter plutôt vers le répertoire du XIXe, le belcanto et la musique française, Gounod et Massenet notamment. Quant à la musique française proprement dite, oui je m'y sens prédisposé, déjà de par la proximité avec la langue qui fait que les colorations sont plus naturelles et subtiles.

Quelle est la place du récital dans votre carrière ?

En fait, c'est un genre que je n'ai presque pas abordé, même si je l'aime beaucoup. Je suis justement en train de réfléchir à des programmes possibles, car je me sens désormais prêt. J'attendais une certaine maturation de mon instrument et de ma technique, et le moment est donc venu. J’aimerais présenter les Sonnets de Pétrarque de Franz Liszt, les grands cycles de Schubert, ainsi que les Mélodies de Massenet, Hahn, Duparc, Rachmaninov, Tosti... les classiques quoi ! (rires)

Quels sont les principaux bonheurs et inconvénients de votre métier ?

En ce qui me concerne, je trouve ce métier formidable, car je peux pour l’instant le vivre en parfaite harmonie avec ma vie de famille puisque ma femme - qui est institutrice, ce qui s'avère pratique... -  et notre fils de quatre ans voyagent avec moi pendant les productions d’opéra. Les séjours de plus d’un mois sur une production nous permettent de bien nous installer, et de prendre le pouls des villes où nous séjournons, en plus de faire des rencontres agréables et moins éphémères. C’est une chance inouïe de les avoir toujours auprès de moi ! Autrement, je vous avoue que je trouverais ça difficile lorsque les répétitions de mise en scène durent plus d’un mois, ce qui est la norme... Cet éloignement prolongé est pour moi le principal inconvénient du métier, mais pour l’instant, tout va bien ! 

Préparez-vous une prise de rôle importante pour vous dans les saisons à venir ?

Oui, le rôle que je vous évoquais tout à l'heure, Raoul, dans L'Ange exterminateur de Thomas Adès, qui m'offrira en plus ma première venue au Met. Même si ce n'est pas un rôle de premier plan, je vais également bientôt aborder le rôle de Cassio à Covent Garden, au côté de l'Otello de Jonas Kaufmann. Mais surtout, j'ai très à cœur d'affronter le rôle de Roméo, de préférence dans un petit théâtre, car je me sens prêt pour le chanter : c’est mon rôle préféré avec Caliban, bien que ces deux rôles n'aient rien à voir ! (rires) Je me sens prêt aussi pour Edgardo dans Lucia et Il Duca di Mantova dans Rigoletto. Ce sont des rôles qui gardent la voix bien ouverte, avec beaucoup d’aigus et un orchestre qui reste belcantiste, donc pas trop lourd et offrant beaucoup de possibilités de nuances à un chanteur : autant dire le paradis pour un ténor ! (rires)

Propos recueillis à Lausanne par Emmanuel Andrieu

Frédéric Antoun dans La Fille du régiment de Gaetano Donizetti à l'Opéra de Lausanne, jusqu'au 20 mars 2016

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