Rencontre avec Francesca Aspromonte

Xl_francesca_aspromonte_photo_itw1 © Gianandrea Uggetti

Après avoir été une véritable révélation dans l’Orfeo de Rossi à Nancy, la jeune soprano italienne Francesca Aspromonte revient dans cet opéra en pétillante Zerlina dans l’actuel Don Giovanni qui ouvre la saison. A cette occasion, elle a accepté de nous rencontrer afin de nous parler de cette production et de partager avec nous certains de ses projets ainsi que son amour pour le chant mais aussi… pour la danse !

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Opera Online : Cet été vous interprétiez Erismena au Festival d’Aix-en-Provence où, justement, cette production de Don Giovanni était créée. Êtes-vous allée la voir en tant que spectatrice ?

Oui, je suis allée la voir à la pré-générale parce que nous n’avions pas la possibilité d’y assister autrement à cause de nos emplois du temps respectifs. J’ai donc vu la moitié de la pré-générale, et j’ai adoré ! J’ai adoré car je pense que Don Giovanni, c’est un petit peu toujours pareil, mais ici, il y a quelque chose de différent : une lecture moins stéréotypée, qui recherche plus la véritable intimité des personnages. J’ai également trouvé très intéressant le jeu des lumières qui accompagne tout le spectacle, notamment la représentation du Catalogue avec les ampoules qui s’allument (que j’ai davantage pu apprécier ici à Nancy qu’à Aix puisque là-bas, nous étions en extérieur et que le soleil n’était pas encore couché). En plus, je crois que le metteur en scène d’Erismena (Jean Bellorini) et Jean-François (Savadier) se connaissent bien et il y avait des éléments communs : les ampoules, l’estrade centrale…


Don Giovanni à Nancy ; © Opéra national de Lorraine

Dans cette mise-en-scène « différente », que pensez-vous de votre personnage et de la manière dont il a été travaillé ?

Zerlina est la paysanne, la jeune fille qui s’en fiche un peu, qui aime danser, profiter de la vie, et je pense (et Jean-François le disait aussi) que c’est parce qu’elle est le personnage le plus proche de Don Giovanni : ils ont le même rapport aux autres. Elle fait ce qu’elle veut avec Masetto sans penser aux conséquences, car elle est jeune et souhaite expérimenter toutes les sensations que la vie lui donne. Quand Don Giovanni arrive, ils sont deux personnes avec la même approche : s’amuser, « Allons, allons, mon amour, compenser nos peines par un innocent amour ! ». Elle ne peut pas traiter Don Giovanni comme tous les autres : bien sûr, Zerlina reste « inférieure » à lui, mais il y a plus un rapport d’égal à égal. Dans la scène du duo, il n’y a presque rien d’érotique, on ne se touche même pas jusqu’à la toute fin, mais on voit vraiment deux personnes qui jouent ensemble, sans penser à ce qui se passera après ! Et quand elle retourne chez son époux... je pense qu’elle croit vraiment n’avoir rien fait de mal : elle s’est simplement amusée avec un nouvel ami !

Et concernant la mise en scène globale ? Vous avez dit avoir beaucoup aimé et que cela sortait de l’ordinaire, mais y a-t-il un point qui vous a particulièrement marqué ?

La statue du Commandeur ! Comme je n’avais vu que la première partie à Aix, je ne savais pas qu’il y avait cette statue-là. J’ai habité longtemps à Salzbourg, et il y a cette statue, une copie (l’originale est à Prague, je pense*) à côté de l’église, sans lumière, et quand on passe par là il y a ce manteau qui est effrayant. Cette statue, c’est la partie sérieuse de l’opéra (qui n’est pas un opera comica), l’incarnation de la mort. Ici, nous faisons la version de Vienne, mais si on faisait la version de Prague, l’opéra s’arrêterait avec la mort de Don Giovanni, la victoire du manteau vide, du Commandeur, « il dissoluto punito ». Je pense que pour les contemporains de Mozart, c’était impossible de faire quelque-chose d’aussi dramatique : les gens attendaient tout le temps la morale, le moment joyeux de la fin réunissant tous les personnages et qui est toujours dans tous les opéras de Mozart.

D’ailleurs, c’est une des grandes originalités ici : la façon dont la mort de Don Giovanni est traitée...

Oui ! Moi je pense toujours qu’il ressemble un peu au Christ, et puis il y a ce moment qui rappelle la Pieta de Michelangelo quand Leporello le prend dans ses bras. Une chose qui me touche beaucoup, à la toute fin, durant le duo de Donna Anna et Don Ottavio, c’est quand on est tous attiré par cette présence qu’il y a au centre du plateau (que le public voit, bien sûr, mais pas nous), avec cette lumière très forte qui aide à créer la magie du fantasme présent. Tous les personnages ont été changés après l’avoir rencontré. Jean-François disait la dernière fois : « enfin on l’aime ». Il n’y a alors personne qui puisse le détester. On l’aime tous, parce qu’il y a un peu de Don Giovanni partout. En fait, il n’est pas mauvais, il est comme ça !


Francesca Aspromonte (Euridice) & Judith van Wanroij (Orfeo) ;
© Opéra national de Lorraine

Vous êtes donc actuellement à Nancy où le public a pu vous voir dans l’Orfeo de Rossi, et nous vous avons beaucoup vue sur les scènes françaises dernièrement car, d’après ce que vous avez déjà déclaré, on donnerait en France plus de place au baroque qu’en Italie. Est-ce que vous regrettez de ne pas avoir pu chanter davantage en Italie ce répertoire que vous aimez beaucoup ?

C’est vrai, mais j’ai chanté du baroque en Italie et je continue à le chanter. Il y a certains endroits où c’est possible, comme à Venise par exemple où ils font les grands opéras mis en scènes mais aussi une saison baroque et une saison contemporaine. Je trouve que c’est un théâtre intelligent qui ne se ferme pas une certaine mixité. Il y a beaucoup d’endroits un peu partout en Italie où on peut faire du baroque, alors que cette musique n’est pas faite pour des endroits aussi grands (et pensés pour un répertoire plus tardif) que la Scala, l’Opera di Roma, Massimo di Palermo... Par contre, il y a de plus en plus des saisons baroques un peu partout : par exemple à Rome, Venise, Cremona, Napoli, Palermo, Urbino, Lugo di Romagna.

Puisque nous évoquons l’Orfeo, et après avoir vu certains de vos pas de danse ce soir également, une question se pose : avez-vous une formation de danseuse ?

(rire) Moi, j’aurais adoré ! Mais quand j’étais petite, étudier la danse était très cher et ma famille ne pouvait pas payer cela. Du coup, je m’entrainais seule face au miroir, j’ai toujours joué à reproduire les gestes que je voyais car je regardais beaucoup de ballets, j’achetais beaucoup de DVD (ou à l’époque, des cassettes), j’ai joué à inventer des chorégraphies avec des copines danseuses. Plus tard, quand j’étais à l’université de Salzbourg, cette dernière a décidé une année de mettre une classe de danse. Pour moi c’était génial ! A 8h30, certes, mais au moins il y en avait !

Nous parlions avant de certaines de vos productions passées, notamment en France et en Italie, mais quels sont vos projets ?

Alors je vais reprendre le rôle de Zerlina au Luxembourg, chanter La sete di Christo de Pasquini à Bremen, mais je vais aussi chanter en Italie, à Venise : l’Orlando furioso de Vivaldi ! Il y a aussi la Passion selon St Jean de Bach à la Konzerthaus à Vienne... Je vais un peu m’éloigner du XVIIe siècle, même si je tiens au baroque. J’ai commencé avec le baroque (notamment avec l’Orfeo de Monteverdi à l’Académie d’Ambronay avec Leonardo García Alarcón), et après je n’ai plus arrêté ! De plus je suis claveciniste, alors le baroque fait complètement parti de moi, et je ne vais jamais l’arrêter complètement. Toutefois, je pense qu’explorer un répertoire plus tardif pourra aider la voix à se développer dans plusieurs directions. Ca sera donc un peu plus XVIIIe (Vivaldi, Bach, Haendel, puisque je vais à Versailles pour Serse avec un très beau plateau et une possible tournée l’année prochaine, ou encore un concert à Grenoble), ou encore tout ce qu’il y a entre Cavalli et Rossini, ce qui fait environ 120 ans ! Je suis très jeune et je ne veux pas déjà me fermer à un certain répertoire : c’est trop tôt pour cela. Après, chaque chose en son temps, et je suis très heureuse comme ça.


Francesca Aspromonte ; © Gianandrea Uggetti

Vous avez déjà cité : « les grandes carrières se font souvent avec des "non" ». Avez-vous déjà regretter d’avoir dit « non » ? Est-ce qu’il y a un rôle qui vous attire particulièrement et que vous n’avez pas encore interprété ?

Oh la la ! Alors… (sourire) Il y a plein de rôles que j’aimerais faire un jour : Cleopatra (dans Giulio Cesare in Egitto) ou Dido (dans Dido et Aeneas de Purcell) mais ce n’est pas le moment, ne serait-ce que parce qu’elles sont des femmes plus âgée que moi, qui ont une expérience de vie différente de la mienne. J’aimerais aussi chanter Almirena dans Rinaldo, Alcina, Rodelinda, tous les Mozart possibles et imaginables : Ilia, c’est un rêve, Zaide, Pamina... en plus j’adore la musique de chambre, le lieder, les grands motets de musique sacrée. Bien sûr, il y a aussi des rôles de Rossini ou de Donizetti que j’aimerais faire, mais pour ça, il faut attendre : on ne saute pas de Rossi à Rossini, ou de Monteverdi à Verdi. Et puis Marie dans la Fille du Régiment, Gilda, Adina, Giulietta... il y a tant de rôles, tant de rêves ! Tout arrive à moment donné et, bien sûr, même les rêves peuvent changer avec le temps !

Et sinon, non, il n’y a pas de refus que je regrette. Certes, une fois qu’on a dit non, il y a une semaine de dépression à se demander pourquoi on a dit non, mais il faut vraiment avoir l’intelligence de savoir choisir si on veut garder l’instrument le plus longtemps possible. Parfois, il faut aussi dire non, pas forcément pour la santé de la voix, mais pour soi : il faut rentrer à la maison, cuisiner dans sa propre cuisine (c’est une italienne du sud qui dit ça !), voir ses proches... et se garder des moments de silence, se reposer. Avec la gorge, on ne fait pas que chanter : on parle, on mange, on respire, c’est toujours en mouvement. Il faut donc se reposer, se rappeler qu’on est des êtres humains et qu’on a le droit à une vie la plus normale possible même si j’ai compris très tôt que la vie de chanteur, c’est dans la valise !

Propos recueillis par Elodie Martinez

 

*Il s’agit des œuvres d’Anna Chromy dont les deux premiers exemplaires en bronze furent installées devant le Théâtre national de Prague. Toutefois, l’artiste avait l’ambition de s’attacher à cette image du Commandeur que Mozart lui-même aimait à nommer « L’Invité de pierre ». Un pari réalisé plusieurs années plus tard avec son « Manteau de la Conscience » en marbre de Carrare, provenant de la fameuse carrière Michelangelo. Anna Chromy a accepté que cette œuvre soit matérialisée dans cette mise en scène. (Informations recueillies dans le livret de l’opéra)

Crédit photos : © Gianandrea Uggetti (portrait)

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