Régis Mengus : « J'adorerais me tourner vers Mozart »

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Baryton prisé par nos meilleures scène nationales (et bien au-delà…), Régis Mengus a exploré une grande variété de rôles, même si ceux d’Escamillo et de Valentin sont ceux où le jeune baryton français est le plus demandé. Avec son physique avenant, son baryton à la fois clair et puissant, sa présence en scène rayonnante et son bel engagement d’acteur, il poursuit un sage et intelligent parcours. Il a accepté de revenir sur ce dernier pour nous, mais aussi sur cette période si particulière, et les chamboulements qu’elle a entraînés pour lui, et enfin sur ses rêves de nouveaux répertoires...

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Opera-Online : Vous êtes arrivé au chant par le piano, n’est-ce pas ?   

Régis Mengus : En effet, j’ai commencé à étudier le piano vers six ans, mais ce qui m’a réellement amené au chant c’est d’avoir intégré une Maîtrise d’enfants, la Manécanterie des Petits Chanteurs à La Croix de Bois, où je suis devenu soliste pendant six années. C’est véritablement là que j’ai découvert à la fois le monde, lors de nombreux voyages, mais aussi et surtout la musique classique et plus particulièrement le chant. Bien évidement je ne savais pas à l’époque que j’en ferais mon métier. N’étant pas issu d’une famille de musiciens, j’ai appris à connaître l’univers de la musique classique en la faisant. J’ai néanmoins toujours bénéficié de l’appui de ma famille dans cette aventure et ce, même à l’heure où débuter une carrière lyrique n’était pas des plus rassurant.

On vous a entendu plusieurs fois dans les rôles d’Escamillo et de Valentin, ceux pour lesquels vous êtes le plus souvent sollicité. Aimez-vous pour autant ces deux personnages ?

Ce sont deux personnages qui me suivent depuis quelques années et que je retrouve et continuerai à retrouver avec grand plaisir car j’ai l’impression de redécouvrir à chaque fois d’autres aspects de ces personnages. Ils sont à la fois différents et ont aussi beaucoup de points communs. Ils défient tous les deux la mort, mais de manière totalement différente, et ils sont pétris d’énergie brute qui répond à l’instinct. J’adore jouer ces personnages, et bien que je prenne un réel plaisir à chanter l’air d’Escamillo, si puissant à l’orchestre, j’ai tout de même une petite préférence pour Valentin qui a droit à une mort sublimée par la musique de Gounod, et qui théâtralement vous amènent tellement loin... la musique vous prend à la gorge et il faut être vigilant pour ne pas se laisser perdre par l’émotion quand on le chante !

De même, on vous a entendu pas moins de trois fois à l’Opéra de Marseille entre janvier 2019 et Février 2020. Vous semblez avoir des liens étroits avec cette maison…

Dans la carrière que nous faisons, il y a des rencontres qui sont d’une importance capitale. Rencontre de lieux, de répertoire, de compositeurs, de professeurs, de chefs, d’agents, de directeurs... Mais surtout, l’ingrédient essentiel et beaucoup plus difficile à trouver, mais cependant déterminant, est de rencontrer les personnes qui vous font confiance et qui n’hésiteront pas à vous confier des rôles ambitieux au risque même de devoir vous défendre. Ces personnes ont la capacité de voir en vous ce que vous-même ne voyez pas toujours ! Et très souvent, l’histoire d’un artiste leur donne raison. J’ai énormément de chance d’avoir croisé la route de telles personnes. Et Maurice Xiberras est de ces gens-là… Il est celui qui m’aura confié mon premier Eugène Onéguine (nous y avons assisté) avant même que je ne songe à aborder ce répertoire dont je suis tombé amoureux, tant de la musique, que de la langue Russe. Donc oui, j’ai une affection particulière pour l’opéra de Marseille. Mais je pourrais citer aussi l’Opéra de Lausanne et son directeur Eric Vigié qui m’a confié mon premier Valentin (nous y étions) et mon premier Hamlet. Je ne vais pas pouvoir nommer toutes les personnes qui m’ont fait confiance mais elles se reconnaîtront car elles savent mon estime et ma reconnaissance envers elles. Je profite de cet entretien pour les remercier du fond du cœur. Elles  ne savent peut-être pas toujours à quel point elles sont importantes dans la construction des artistes…

Comment avez-vous vécu cette période de confinement et quelles en ont été les conséquences pour vous ? Nous avons relevé deux spectacles annulés pour vous entre mars et juin (une Création à Lausanne et un Carmina Burana à Montpellier).

Pour moi cette période de confinement a commencé quand je suis rentré de la Deutsche Oper de Berlin, et je devais gagner peu après Lausanne pour une création autour du personnage de Davel. Création pour laquelle un gros travail avait été effectué et l’annonce du confinement nous a complètement coupé l’herbe sous le pied. Comme tout le monde, je me suis retrouvé assigné à résidence de manière totalement imprévue. Avec ce métier, devoir rester chez soi pour une période prolongée n’arrive pas souvent ! J’ai donc décidé de mettre à profit ce moment pour retrouver ma famille, et cela m’a fait un bien fou… Prendre le temps pour eux, pour moi, méditer, faire même des travaux, puis après une période où je n’ai pas chanté, je me suis payé le luxe de faire de la technique pure tous les jours. Aussi je suis parti à la découverte de nouveaux répertoires tout en consolidant les rôles que j’interprète en ce moment. Ça a été finalement très intéressant et véritablement enrichissant pour l’artiste que je suis mais aussi pour l’homme. Quant aux spectacles annulés, le premier sera finalement reporté et c’est véritablement une chance car beaucoup de travail a été fourni pour cet ouvrage, et le second ne se fera pas, mais je ne doute pas de chanter Carmina Burana lors d’une autre occasion. Cette période a été troublante à maints égards pour beaucoup, et j’espère que nous en sortirons tous grandis. J’espère aussi que cette situation nous montrera à quel point la culture est importante et à quel point il est urgent de partager ces moments de grandes émotions.

Une des choses qui frappent le plus quand on vous voit sur scène, c’est votre forte présence et vos talents de comédien. Comment les cultivez-vous ?

C’est une question qui revient assez souvent et je vais peut-être vous décevoir mais je dois dire que je ne fais rien de particulier. Je m’efforce toujours d’incarner les rôles que l’on me confie. D’être le plus juste et fidèle aux personnages du livret, aux personnages que le metteur en scène souhaite voir évoluer ainsi qu’aux indications musicales du compositeur. Au moment où je suis en scène je n’ai absolument aucune conscience ni de ma présence ni de mon jeu de comédien. C’est peut-être justement ma « non-volonté » à exister en tant que moi jouant la comédie qui permet au personnage interprété de se laisser voir.

Vous chantez actuellement dans une double production de L’Heure espagnole et des Mamelles de Tirésias à l’Opéra d’Oviedo… Comment cela se passe-t-il ? Pouvez-vous notamment nous parler de la mise en scène ?...

En effet nous sommes actuellement et pour la première fois depuis le confinement sur la scène et devant un public aussi impatient que nous ! Ça n’a pas été une mince affaire d’y arriver car les normes de sécurité compliquent grandement l’exercice, mais nous y sommes parvenus et il a fallu pour cela changer certaines façons de faire. Outre se laver et se désinfecter les mains régulièrement, garder une distance même pendant le travail de mise en scène et surtout répéter avec un masque... le public a eu lui aussi sa part de nouveauté. Port du masque également et sièges vides en raison des distances sanitaires. Malgré tout, les représentations se passent à merveille et tout le monde semble heureux de pouvoir à nouveau faire résonner de la musique et partager des moments d’émotion. Je crois même que toute cette histoire a renforcé l’importance de ce partage. En ce qui concerne la mise en scène d’Emilio Sagi, je connaissais déjà celle des Mamelles de Tirésias que j’ai eu la chance de faire il y a quatre ans et j’ai été très content de retrouver mon fabuleux costume qui est une robe faite entièrement de soutien-gorge roses et des chaussures avec dix centimètres de talon ainsi que ma douche, car oui, je prends une véritable douche sur scène au début de l’ouvrage... C’est une mise en scène qui fonctionne tellement bien avec ce livret complètement surréaliste d’Apollinaire... Nous évoluons dans un monde plein de couleurs et d’objets plus loufoques les uns que les autres ! Quant à L'Heure espagnole, c’est tout à fait un autre univers. C’est comme si nous étions à la fois entourés d’horloges et à l’intérieur d’elles même. Emilio Sagi a construit sa mise en scène comme si nous étions les rouages d’une horloge de la vie et nous fait opérer une mécanique burlesque qui je dois dire m’amuse beaucoup. Car c’est en effet bien le mot, nous nous amusons beaucoup !

De manière générale, comment abordez-vous un nouveau rôle ?... Etudiez-vous seul ?

Généralement j’aborde un rôle par le personnage que je suis censé interpréter : son univers, ce qu’il est, ce qu’il dit, la façon dont il évolue, les changements qui s’opèrent en lui... Il faut bien comprendre que je ne cherche pas à composer un personnage, je n’ai aucune conception du rôle car ça c’est le travail du metteur en scène. Je me contente d’avoir le plus d’informations possibles pour être prêt le moment venu à co-créer ce personnage lors du travail scénique. Puis je prends connaissance de la musique, sans volonté d’interprétation dans un premier temps, juste au niveau du solfège. C’est incroyable de voir à quel point il y a d’indications données par le compositeur ; et parcourir la partition lentement permet de voir toutes ces précieuses indications... Parallèlement à ça, si c’est un ouvrage en langue étrangère, il faut travailler le texte pour être en mesure de le restituer au mieux – en l’occurrence un an de travail de la langue russe pour Eugène Onéguine... Ensuite, je m’attelle à travailler techniquement le rôle car pour pouvoir l’interpréter il nous faut passer la barrière de multiples difficultés. Après cela, le travail musical peut commencer. C’est finalement un assez long travail sans compter la mémorisation de l’ouvrage, ou encore du travail de mise en scène, mais je trouve cela passionnant et je suis chanceux de pouvoir vivre tous ces moments quand enfin j’accède au résultat final. Et pour avoir le bonheur d’en arriver là, nous avons tous besoin de l’indispensable chef de chant. Étant continuellement en voyage, il n’est pas rare que je prépare un rôle futur avec le chef de chant de la production sur laquelle je suis, et il m’arrive aussi d’aller faire des séances avec d’éminents chefs de chants pour qui le répertoire n’a plus de secret. Mais la plupart du temps, j’ai la chance de pouvoir travailler à domicile car il se trouve que je partage ma vie avec une pianiste et excellente musicienne. Elle m’a aidé à préparer quasiment tous les rôles que l’on m’a confiés depuis mes débuts. Elle a toujours joué un grand rôle dans cette aventure et finalement le travail que je présente est aussi en partie le sien. J’ai toujours eu la chance d’être très bien accompagné dans ma vie professionnelle, et j’ai maintes fois bénéficié de l’expérience et du talent de nombreux professeurs, chefs de chant, collègues, chefs d’orchestres... Je ne pense pas que l’on puisse construire une carrière tout seul et ma manière de travailler s’appuie sur toutes ces rencontres et parfois les informations les plus importantes nous arrivent via des personnes que l’on ne soupçonne pas. C’est la beauté de ce métier... Et puis il faut apprendre à se connaître, savoir ce qu’on peut faire ou pas, savoir comment notre instrument fonctionne. C’est un long travail où il faut chercher, s’adapter, comprendre, se tromper, recommencer, et puis ce que l’on nomme « expérience » se construit et fait œuvre.

Quels rôles se profilent pour vous à moyen terme ? Ou quels sont ceux que vous souhaiteriez aborder ?...

Pour le moment, et j’en suis heureux, les rôles à moyens terme sont essentiellement ceux que j’incarne actuellement. J’ai toujours hâte de retrouver un personnage après avoir fait une prise de rôle car c’est véritablement une aventure que l’on expérimente avec ces incarnations, ces musiques, ces univers et quelque fois on en redemande, d’autres fois on a besoin d’une revanche, mais quoiqu’il en soit, on a la possibilité d’aller toujours plus loin… j’adore ça ! Maintenant que j’ai abordé et incarné les personnages de Valentin, Escamillo, Hamlet et Onéguine, j’adorerais me tourner vers Mozart avec notamment Don Giovanni, mais aussi Rossini car j’ai vraiment envie de m’essayer à certains de ses personnages. Et pour finir je dirais Bellini et Donizetti car je me sens beaucoup d’affinités avec le belcanto

Propos recueillis en septembre 2020 par Emmanuel Andrieu

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