Portrait : Piotr Beczała, une élégance lumineuse

Xl_hires-piotr_beczala_c_jean-baptiste_millot © DR

Le temps n’est plus où les ténors en vogue faisaient carrière dans le cinéma et se faisaient écrire un répertoire sur mesure, entre l’intensité expressive du ténor lyrique et la sentimentalité intime du crooner. Ce n’est pas un hasard ou une simple opportunité marketing si Piotr Beczała a consacré un récital (Deutsche Grammophon) à Richard Tauber, l’irrésistible protagoniste des dernières opérettes de Lehár : une telle généalogie montre que Beczała a l’intelligence de ne pas chercher la vaillance, le grand format, l’héroïsme sonore.
Dans quelques jours, il sera le Faust de Gounod à Salzbourg, pour la toute première présentation de l’œuvre au Festival d’été : ce n’est certes pas du Lehár, mais c’est bien un rôle où la souplesse de la ligne, l’élégance de la diction et la clarté du timbre sont tout aussi essentiels. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que Piotr Beczała montre ses affinités avec le répertoire français – il n’est pas toujours nécessaire d’être né dans l’hexagone pour avoir les qualités qu’on associe généralement à ce répertoire, les Kraus et Gedda d’autrefois en témoignent, y compris pour leur français très naturel. Il a enregistré un beau récital d’airs français, dans un répertoire qui dépassait ce qu’il est en mesure de chanter intégralement (Énée !), mais il a aussi souvent donné sur scène des rôles comme Werther (Salzbourg 2015 par exemple) ou justement Faust, notamment dans l’infortunée production parisienne récente, mais aussi Roméo et même Hoffmann.


Pour la première fois de son histoire, le Festival de Salzbourg programme Faust de Gounot, dans une nouvelle production donnée du 10 au 29 août 2016. Piotr Beczala en incarne le rôle-titre notamment aux côtés d'Ildar Abdrazakov et de Maria Agresta.
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Mais naturellement il n’y a pas que dans l’opérette ou dans le répertoire français que ces qualités sont appréciées. Après Munich ces derniers mois, c’est à Vienne en avril que son Riccardo du Bal Masqué ira ravir les oreilles verdiennes les plus délicates, un rôle qui lui va comme un gant ; chez Verdi, on pourrait penser aussi au Duc de Rigoletto, mais quel autre rôle réunit de vrais moments d’opérette (« È scherzo od è follia ») et une mort aussi pleinement tragique, saturée de nobles sentiments jusqu’au dernier souffle ? Ce grand écart est tout sauf facile, sauf quand l’équation personnelle de l’interprète le permet : c’est le cas de Riccardo et de Piotr Beczała. Il n’y a pas que légèreté, que lumière dans cette voix, il y a aussi une blessure, une ombre qu’on associera, peut-être, par facilité, à son origine slave – outre l’inévitable Lenski d’Eugène Onéguine, il a aussi chanté à plusieurs reprises les rôles principaux de Iolanta et de Rusalka : les qualités demandées par ces rôles ne sont pas les mêmes que celles que sollicitent Riccardo ou Faust, mais le supplément d’âme qu’apporte Beczała à ces derniers est justement ce qu’il faut pour le Prince ou Vaudémont. Le répertoire slave est certainement important pour Piotr Beczała qui lui a consacré un récital, mais ce n’est qu’une des directions de son activité : en italien ou en français comme en russe ou en tchèque, il sait être parfaitement naturel. Tant pis si, lors d’une Traviata d’ouverture de saison, quelques censeurs du poulailler de la Scala lui ont fait grief de n’être pas un pur méditerranéen : les couleurs qu’apporte sa voix à ce répertoire ne l’empêchent pas d’être parfaitement idiomatique et naturel dans une langue si éloignée de sa langue maternelle.

On a souvent dit que l’Opéra de Paris avait la mauvaise habitude de ne se décider à faire venir les très grands chanteurs qu’en fin de carrière : avec Piotr Beczała, c’est faux, puisqu’il était déjà sur scène, en Tamino, en 2001, et qu’il y est souvent revenu depuis, récemment en Werther. Pourtant, ce n’est pas à Paris qu’a eu lieu le plus récent événement de sa carrière, mais à Dresde : le monde lyrique tout entier avait les yeux rivés sur ces quelques représentations de Lohengrin parce qu’Anna Netrebko y faisait elle aussi ses débuts, mais Piotr Beczała y renouvelait aussi une pratique très minoritaire, mais discrètement constante, celle de confier le rôle-titre à un ténor beaucoup plus léger que les wagnériens habituels. N’est-ce qu’une tentative isolée, le début d’une réorientation de sa carrière, une nouvelle tendance dans l’interprétation wagnérienne ? Après tout, les chanteurs qui ont créé les opéras de Wagner n’étaient pas les athlètes d’endurance et de puissance qu’un siècle et demi d’interprétation wagnérienne a développés : ils n’avaient certes pas à affronter les vastes espaces de Bastille ou du Met, mais après tout on chante aussi Wagner dans des salles plus modestes, et l’être de lumière qu’est Lohengrin peut bien justifier une approche plus aérienne de la partition. La prochaine saison de Piotr Beczała, en tout cas, ne regorge pas d’imprudences : peut-être reviendra-t-il à Wagner plus tard, mais pour l’instant Werther, Rodolfo et les autres feront leur retour. Le répertoire qui est le sien, aussi éloigné de la virtuosité rossinienne que du répertoire héroïque, n’a pas spécialement été bien traité ces dernières décennies, et on a éminemment besoin de voix comme la sienne pour le remettre en valeur.

Dominique Adrian

Credit Photo : Jean Baptiste Millot

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