Emily D'Angelo, promesse d'avenir

Xl_dangelo-emily © DR

Emily D'Angelo est actuellement à Paris à l’occasion de sa première interprétation sur scène du rôle-titre d’Ariodante. La carrière de la mezzo canadienne est encore très jeune et pourtant, elle se produit déjà sur les principales scènes lyriques mondiales, impressionne par un engagement scénique magnétique et fait montre d’une curiosité artistique fascinante. Portrait.

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En avril 2021, le Staatsoper Unter den Linden de Berlin donnait Les Noces de Figaro sous la direction de Daniel Barenboim. Dans un contexte de pandémie et de salles de spectacles encore fermées au public, la production était retransmise en ligne et la maison berlinoise devait se contenter de n’accueillir dans sa salle qu’une petite poignée de critiques. Sur scène, Emily D'Angelo interprétait Cherubino et aux termes de son air « Voi che sapete », les quelques rares journalistes présents sur place lui offraient une bruyante salve d’applaudissements et de bravi depuis une salle vide ou presque. Aussi incongrue que puisse être la scène, elle révèle sans doute l’irrépressible enthousiasme que peuvent susciter les prestations de la jeune mezzo canadienne.

Il faut dire que tant par sa voix que sa présence, Emily D'Angelo ne laisse pas indifférent, à commencer par les jurys de concours – dès 2016, elle s’imposait dans la Metropolitan Opera Competition avant de poursuivre sa formation au sein du programme Lindemann Young Artists Development de la maison new-yorkaise, puis d'enchainer les récompenses (à la George London Competition, la Gerda Lissner Competition, ou encore à l’Innsbruck Baroque Competition), et sa participation au concours Operalia en 2018 reste dans les mémoires : du haut de ses 24 ans, elle raflait à elle seule le Premier prix, le Prix de la Zarzuela, le Prix Birgit Nilsson et le Prix du public du célèbre concours.

Les « bêtes de concours » ne font pas toujours de grands interprètes, mais depuis, Emily D'Angelo se fait aussi remarquer sur la plupart des grandes scènes lyriques d’Europe et d’Amérique du nord. Elle enchaine ainsi les (prises de) rôles notamment dans le répertoire mozartien et rossinien : Cherubino à Berlin donc, mais aussi Idamante (Idomeneo) à Munich, Dorabella (Così fan tutte) et Donna Elvira (Don Giovanni) à la Scala de Milan, puis encore Angelina dans La Cenerentola au Semperoper de Dresde ou Rosina du Barbier de Séville à l’Opéra de Paris. Elle y ajoute aussi le rôle du Prince Charmant de Cendrillon au Metropolitan Opera de New York, Sesto (La clemenza di Tito) à la Royal Opera House de Londres ou le rôle d'Ottavia (Le Couronnement de Poppée) à l'Opéra de Zurich... Partout, la jeune mezzo fait montre de facilités vocales déconcertantes et déploie surtout une intensité et une détermination dans l’interprétation qui impressionnent – qui passe par la voix évidement, mais aussi par un physique aussi élancé que très ancré, et par un regard qui transperse.

Eclectisme musical

Il serait pourtant réducteur de limiter l’intérêt d’Emily D'Angelo aux seules œuvres de répertoire. Son premier disque, enargeia, en fait la démonstration – chez Deutsche Grammophon qui lui a proposé un contrat d’exclusivité. Emily D’Angelo n’y réunit pas les grands airs qu’on trouve habituellement dans les premiers enregistrements des jeunes chanteuses. Elle a préféré y concocter un programme articulé autour de l’abbesse Hildegard von Bingen, compositrice et poétesse du Moyen-Age qui la fascine de longue date : la chanteuse canadienne y interprète certaines de ses compositions mais dans des arrangements signés par la compositrice contemporaine Missy Mazzoli, parmi des extraits de l’opéra de l’Américaine Sarah Kirkland Snider (1973) inspiré de la vie de l’abbesse. Une « nouvelle version de quelque-chose de très ancien » qui puise dans des inspirations multiples – des sonorités contemporaines, de la musique chrétienne, des tonalités issues de la culture traditionnelle grecque...

L'album n'a pas fait l'unanimité parmi la critique mais il en résulte un objet artistique hybride qui jette un pont temporel entre le XIe et le XXIe siècle. Et ce disque manifestement très personnel est sans doute révélateur de l’âme artistique de l’interprète, curieuse de tout, peu importe les styles ou les époques (le processus de recherche de la mezzo relève « davantage de l’archéologie que de l’architecture musicale »), sans tabou, fascinante et envoûtante, tout en faisant écho à un éclectisme rafraichissant. 

Ariodante, nouvelle prise de rôle

Emily D'Angelo poursuit sa carrière et continue d’étoffer son répertoire en consacrant cette saison 2022-23 à plusieurs prises de rôle emblématiques du répertoire de Haendel. Après Ruggiero dans Alcina à la Royal Opera House de Londres en novembre dernier et en attendant sa prise de rôle de Juno dans Semele cet été à Munich, la mezzo est actuellement à Paris pour une autre prise de rôle, celle du rôle-titre d’Ariodante dans la nouvelle production de Robert Carsen.

Elle y interprète le Prince Ariodante (rôle historiquement écrit pour le castra Giovanni Carestini) dont les amours avec la princesse Ginevra (chantée par Olga Kulchynska qui fait aussi sa prise de rôle) sont contrariées par les sombres complots de l’infâme Polinesso (Christophe Dumaux, grand titulaire du rôle). On le sait, le rôle d’Ariodante est exigeant et si Emily D’Angelo l’interprète pour la première fois intégralement sur scène, elle le travaille néanmoins depuis longtemps – c’est déjà en interprétant l'air Dopo notte, atra e funesta d’Ariodante qu’elle triomphait au concours Operalia en 2018. Un rôle à la mesure des qualités vocales de la jeune interprète, avec ses airs interminables à l’étincelante virtuosité et d’une redoutable difficulté. Un rôle « royal » qui fait aussi passer le jeune Prince par de nombreux états et qui offre une riche matière aux « interprètes ». 

L’Opéra de Paris donne Ariodante du 20 avril au 20 mai dans la nouvelle production de Robert Carsen, marquée donc par la prise de rôle d’Emily D'Angelo. Une nouvelle étape dans la carrière dans la mezzo – et sans doute une occasion pour le public parisien de (mieux) la découvrir dans un rôle de premier plan.

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