Cinq questions à Daniela Barcellona

Xl_daniela_barcellona © DR

Comme nous l'avons écrit hier dans notre recension du concert, c'est une Federica de luxe que s'est offert le Festival de Verbier dans Luisa Miller de Verdi, en affichant la célèbre mezzo italienne Daniela Barcellona dans le rôle. De fait, on est plus habitué à l'entendre dans des rôles de premier plan sur des scènes de première importance, comme celui de Didon (Les Troyens de Berlioz) à La Scala de Milan l'an passé ou - pas plus tard qu'il y a deux mois - dans celui d'Orfeo de Gluck au Teatro di San Carlo de Naples. Modèle de simplicité, d'humilité et de gentillesse, comme le sont les (vraies) grandes, Daniela Barcellona s'est prêtée bien volontiers au jeu des questions/réponses pour Opera-Online, juste avant le concert...

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Opera-Online : Vos rencontres avec le chef Gianluigi Gelmetti ou le chanteur (et agent artistique) Ernesto Palacio ont semblé déterminantes pour votre carrière. Pouvez-vous nous en parler ?

Daniela Barcellona : J'ai rencontré pour la première fois Maestro Gelmetti au Festival de Pesaro en 1996. J'ai fait une audition pour lui là-bas, et j'ai chanté le rôle d'Arsace (NDLR : dans Semiramide de Rossini). Il a beaucoup apprécié ma façon de chanter, l'expression et les couleurs de ma voix, et il m'a aussitôt offert un premier contrat : le Stabat Mater de Rosssini à la Basilique Sainte-Marie-des-Anges à Rome, avec l'Orchestre du Teatro dell'Opera. Puis il m'a proposé de nombreux rôles dans des opéras de Rossini, d'abord en seconde distribution, puis très vite en premier cast, comme Arsace au Grand-Théâtre de Genève ou Tancredi au Festival de Pesaro. Ces deux rôles ont été le vrai début de ma carrière, et je lui dois énormément, il a été le premier à me faire confiance. Quant à Ernesto Palacio, je l'ai également rencontré en 1996, alors qu'il était un ténor rossinien réputé. Parallèlement à sa carrière de chanteur, il organisait des concerts et des séances d'enregistrement. Il a commencé à me proposer de participer à certains d'entre eux, puis il s'est installé comme agent artistique ; au début, il s'occupait seulement de moi et de Juan Diego Florez, mais son agence a pris très vite beaucoup d'ampleur. Ses connections avec les plus grands théâtres lyriques du monde ont permis à ma carrière de prendre un formidable envol. Je lui dois donc beaucoup aussi, d'autant qu'il a pris soin de m'organiser des saisons « cohérentes », afin de ne pas mettre en danger ma voix en l'exposant trop vite à des rôles trop lourds pour elle...

Vous avez chanté des rôles rossiniens comme Tancredi, Isabella, Sigismondo, Rosina, Angelina, Ottone, Malcolm, Falliero, Calbo, Arsace, Melibea, Neocle… votre voix désormais évolue, mais il nous paraît impossible que vous puissiez vous passer de Rossini ?

Oui, ne vous inquiétez pas, je ne vais pas abandonner Rossini ! (rires). J'ai des contrats prévus dans des ouvrages de Rossini jusqu'en 2018, entre autres au Covent Garden de Londres, au Metropolitan Opera de New-York ou encore à l'Opéra de Monte-Carlo. Rossini est une école formidable pour la voix d'un jeune chanteur ; il requiert une grande technique vocale, et exige d'utiliser sa tête autant que sa voix, afin d'arriver à interpréter variazioni et autres cadenze. Et puis Rossini n'est pas dangereux pour la voix, il y a peu de rôles véritablement lourds qui pourraient compromettre un début de carrière. Jeune chanteuse, on me proposait déjà des rôles comme Aïda ou Amnéris – et même Eboli ! -, mais j'ai toujours eu la présence d'esprit de refuser ces rôles...car je voulais durer ! (rires)
Pour revenir à Rossini, je pense avoir chanté tous les rôles qu'il a écrit pou voix de mezzo – à commencer par les rôles de travestis -, tous ceux que vous venez de citer en fait... A ce sujet, je dois énormément à une des assistantes du metteur en scène Hugo de Ana qui m'a appris comment me comporter comme un homme sur scène, comment marcher ou bouger de manière virile. Cela a été très dur pour moi au début, mais j'ai fini par entrer dans la peau d'un homme ! (rires)

Aujourd'hui, vous chantez Eboli, Amneris, Mrs Quickly, Santuzza, La Principessa di Bouillon... Avez-vous d'autres envies,  Azucena ou Ulrica par exemple ?

Oui ma voix évolue, et c'est une nécessité – même un devoir - de suivre son évolution naturelle, d'écouter ce que dit notre corps, et de varier ou changer son répertoire quand vient la maturité. Azucena arrive encore un peu tôt pour moi, l'orchestration est tout de même assez lourde pendant ses airs, et puis c'est une vieille femme... ce que je ne suis pas encore ! (rires). Je préfère me cantonner pour l'heure à Amneris, Eboli ou Mrs Quickly, pour ce qui est du répertoire verdien, Azucena viendra un jour, c'est sûr, et Ulrica je ne pense pas... enfin, on verra... mais dans très longtemps alors ! (rires)
Sinon, j'aimerais bien chanter Carmen, mais plutôt en version de concert, car je ne pense pas avoir le physique idéal pour cette héroïne. Je ne l'ai d'ailleurs chanté qu'une seule fois, quand j'étais jeune, en Amérique du Sud. Mon rôle préféré reste celui de Didon dans Les Troyens de Berlioz... Il est si merveilleux !

Et Wagner ? Erda, Ortrud ou Isolde ? Suis-je fou de vous proposer ces rôles ?

Pourquoi pas oui, et si je ne chante pas ces rôles pour le moment, j'y pense à l'avenir en effet ! J'adore tellement Wagner ! Mais il exige un style très spécifique, et je ne le possède pas encore... Il me faudrait beaucoup travailler, et je n'ai pas encore eu vraiment le temps de me consacrer au répertoire allemand. Et puis vous savez, la plupart des directeurs de casting préfèrent distribuer dans Wagner des chanteurs dont l'allemand est la langue maternelle, et je ne suis pas sûre qu'on penserait du coup à moi pour ce répertoire...

A Verbier, pour Luisa Miller, vous retrouvez le chef Gianandrea Noseda. Quel regard portez-vous sur sa façon de vous diriger ?

Maestro Noseda est tout simplement incroyable ! Il a en lui une si grande énergie, une énergie qu'il sait si bien insuffler tant à l'orchestre qu'aux chanteurs placés sous sa direction. C'est en plus un homme délicieux, un très grand musicien, et c'est toujours un bonheur que d'être dirigée par lui. On se connaît très bien, et nous avons beaucoup de projets ensemble, notamment à l'Opéra de Turin (NDLR : il en est le directeur musical), mais aussi à New-York, ainsi que des enregistrements discographiques...

Propos recueillis à Verbier par Emmanuel Andrieu

Daniela Barcellona dans Luisa Miller de Verdi au Festival de Verbier

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