
Le succès remporté par Nadine Sierra en janvier dernier dans La Traviata était déjà énorme, mais ce qu'elle vient de réaliser dans La Sonnambula s’avère plus grand encore et consacre la soprano américaine comme la nouvelle reine incontestée du Liceu de Barcelone.
Nadine Sierra a tout pour elle : la voix est belle, chaude et lyrique dans le médium, vive et lumineuse dans les aigus, le contrôle du souffle est exceptionnel et la projection optimale. Elle possède des aigus stratosphériques sans le moindre effort apparent, gère les nuances de manière exquise dans toutes les zones du registre et l’agilité de la voix lui permet d’aborder les coloratures avec aisance pour surmonter de façon spectaculaire les abbellimenti complexes et risqués de la partition.
À l’excellence vocale, Nadine Sierra ajoute en outre une présence scénique rayonnante et une fluidité naturelle du geste qui lui permettent de donner une vie théâtrale intense à son personnage.
N'ayant pas encore franchi le cap de la quarantaine, Nadine Sierra est manifestement au sommet d'une splendide carrière. En bon théâtre méditerranéen, le Liceu s’impose comme un « théâtre de la voix » et a trouvé sa diva.
Peut-être à peine un cran en-deçà de Nadine Sierra, le ténor basque Xabier Anduaga possède lui aussi une voix spectaculaire et des aigus nets, scintillants et pleins d’assurance, qui lui permettent d'aborder un large répertoire dans un registre lyrique léger. Son Elvino est mémorable et ses duos avec Nadine Sierra anthologiques. Xabier Anduaga pourrait encore peaufiner son style bel canto en modulant davantage la projection et en laissant la mélodie conduire le chant, mais il ne fait aucun doute que ce prodigieux ténor, qui n'a pas encore trente ans, est à l'aube d'une carrière exceptionnelle. Dans La Sonnambula, le couple Sierra / Anduaga semble aujourd'hui incomparable.
Le comte Rodolfo est un rôle très gratifiant : il ne présente pas trop de difficultés et offre à son interprète le grand air « Vi ravviso, o luoghi ameni ». Pour autant, Fernando Radó ne profite pas des opportunités que lui offre la partition. Sa prestation ne dénote pas mais s’avère sans réelle profondeur. À l'inverse, la Cubaine Sabrina Gárdez fait ses débuts sur la scène du Liceu et tire pleinement parti de ses capacités dans le rôle de Lisa. Carmen Artaza séduit dans le rôle de Teresa, mais un peu plus de présence vocale aurait été appréciable pour rendre grâce au rôle d'Alessio chanté par Isaac Galán.
Le chœur semble d'abord peu concentré, mais finit par déployer une belle performance dans un opéra qui lui offre une participation importante, pour un niveau d'exigence raisonnable.
La Sonnambula, Gran Teatre del Liceu © A. Bofill
Il y a de nombreuses années, Richard Bonynge, le chef d'orchestre (et mari) dévoué de Joan Sutherland, indiquait ouvertement que les meilleurs chefs d'orchestre de bel canto (dont il faisait partie) sont ceux qui ne se mettent pas en avant. Le bel canto tardif de Bellini et Donizetti est une pure question de voix, une voix amoureuse de sa propre beauté, une forme civilisée et inoffensive de narcissisme : l’orchestre doit donc toujours être humble, en arrière-plan et au service de la voix. En fosse, Lorenzo Passerini, pour ses débuts au Liceu, fait sienne la maxime de Richard Bonynge. Sans négliger les nuances et les beaux détails de couleur des bois, il sait bercer les voix avec délicatesse. L'orchestre sonne avec douceur, et c'est exactement ce qu’on attend de l’ensemble. D'autres ouvrages viendront assurément pour lui permettre de jouer un rôle plus ostentatoire.
Cette Sonnambula est donnée au Liceu en coproduction avec le Teatro Real de Madrid (qui l'a déjà présentée lors de la saison 22-23), le New National Theatre of Tokyo (où on a pu la voir en octobre 2023) et le Teatro Massimo di Palermo, qui la présentera en octobre prochain.
La mise en scène de cette production a été confiée à Bárbara Lluch, la scénographie à Christof Daniel Hetzer et les costumes à Clara Peluffo Valentini. La scénographie, peu attrayante visuellement, se veut évocatrice et place l’action dans une sorte de scierie qui semble avoir abattu tous les arbres d’une forêt alentour à l'exception d'un seul – la scène prend des allures de désolation préindustrielle. À certains moments, ce choix de scénographie fonctionne, mais dans d'autres – comme la scène de l'auberge, par exemple –, c'est un naufrage. La proposition de Bárbara Lluch intègre des éléments intéressants, le meilleur étant un ensemble de dix danseurs qui incarnent les rêves, les cauchemars, les peurs, les désirs et les doutes de la somnambule Amina. Cette approche fonctionne bien dans les quatre ou cinq premières occurrences, avant néanmoins de devenir répétitive et donc lassante.
La production affiche aussi un important parti pris idéologique. Comme l'indique la note d’intention, la production entend « déromantiser » le livret original. Et ce n’est pas forcément une bonne idée de « déromantiser » un opéra romantique, notamment parce qu'il y a un risque qu'à la fin, il n'en reste rien.
Cette proposition radicale de Bárbara Lluch, qui fonctionne plus ou moins bien dans l'ensemble, ne peut accepter la « fin heureuse » de l’ouvrage et son mariage final tel que proposé par le texte et la musique de l’œuvre. Avec audace, elle la renverse donc, avec une certaine absurdité scénique de dernière minute qui sort de nulle part au point de friser le ridicule – mais qui apparait manifestement très moderne.
traduction libre de la chronique en anglais de Xavier Pujol
Barcelone, 5 mai 2025
La sonnambula de Vincenzo Bellini. Nadine Sierra, soprano, Xabier Anduaga, ténor. Fernando Radó, baryton. Sabrina Gárdez, soprano. Carmen Artaza, mezzo-soprano. Isaac Galán, baryton. Gerardo López, ténor. Orchestra of Gran Teatre del Liceu. Choir of Gran Teatre del Liceu. Lorenzo Passerini, chef d'orchestre. Bárbara Lluch, mise en scène. Metamorphosis danza (Iratxe Ansa, Igor Bacovich), chorégraphie. Christof Daniel Hetzer, scénographie. Clara Peluffo Valentini, costumes. Urs Schönebaum, lumière. Production du Gran Teatre del Liceu, Teatro Real (Madrid), New National Theatre (Tokyo) et Teatro Massimo di Palermo.
08 mai 2025 | Imprimer
Commentaires