Zaïde de Mozart, complété à l’Opéra de Rennes

Xl_za_de_3_-_op_ra_de_rennes___laurent_guizard © Laurent Guizard

Dans le film The Dark Knight Rises, en 2012, Marion Cotillard avait été raillée sur les internets (avec le fameux mot-dièse #dyinglikemarioncotillard) pour son jeu plus qu’approximatif au moment de la mort de son personnage. Le principal responsable de ce fiasco de quelques secondes n’était tout autre que son réalisateur Christopher Nolan, qui n’a pas su diriger son actrice au moment voulu. Dans la version 2023 de Zaïde de Mozart – antichambre inachevée de L’Enlèvement au sérail – par Louise Vignaud, ratage scénique comme on en fait peu, chaque prise de parole pourrait avoir droit à son hashtag, tant la metteuse en scène occulte tout professionnalisme. Le décor rocheux de carton-pâte, passe encore, mais comment peut-on ridiculiser à ce point des chanteurs en pleine forme vocale (soutenus par une superbe direction musicale) en leur laissant les clés d’un plateau au dénivelé inquiétant, sans autre indication que d’y « exister » dans des costumes d’une embarrassante ringardise ? Des spectacles amateurs pour les 3-5 ans passeraient pour des chefs-d’œuvre de dramaturgie en comparaison à ce Zaïde !

Zaïde - Opéra de Rennes (c) Laurent Guizard

Ce n’était pourtant pas l’ambition qui manquait, car avec cette coproduction entre l’Opéra de Rennes, Angers Nantes Opéra, le Théâtre de Cornouaille, les 2 Scènes de Besançon et l’Opéra Grand Avignon, le Singspiel incomplet de Mozart bénéficiait de l’écriture de dialogues parlés (par Louise Vignaud et Alison Cosson), de la composition d’un prélude, d’un interlude et d’un finale (par Robin Melchior) et d’un nombre conséquent de représentations pour partir à la conquête du public. Le nouveau livret recentre l’intrigue sur Zaïde, Allazim et Soliman, trois « enfants » échoués sur une île depuis quelque temps et dont l’existence est remise en question à l’arrivée par le rivage du jeune Gomatz. Allazim, attendri par l’amour de Zaïde et Gomatz, les aide à s’enfuir, mais Soliman compte bien garder le pouvoir décisionnel… Et tout cela sous les yeux d’une déesse omnisciente bleue, au look de Na’vi dans Avatar, qui intervient en monologues non-déplaisants mais un peu longs, sous les traits de la comédienne Marief Guittier (convaincante, quoique à l’origine de quelques accrocs).

Le texte veut s’inscrire dans la lignée des contes philosophiques des Lumières. S’il accompagne facilement le spectateur dans la compréhension de l’œuvre, son manque de modernité le rattrape, car les enjeux sont réduits à un tel minimum qu’ils n’ont plus aucune résonance. Au contraire, les lignes musicales de Robin Melchior ne cherchent pas l’exercice de style anachronique, d’où leur grande efficacité. L’esthétique, moderne et cinématographique, se rapproche de Ravel, de Korngold et de John Williams, et c’est surtout dans ses textures et son organisation interne qu’elle dialogue avec le génie de Salzbourg. Nicolas Simon dirige un sérieux (bien que parfois maladroit) Orchestre National de Bretagne dans un magnifique paradis volatil. Le vent de liberté inouïe qu’il fait souffler sur les pages de Mozart et de Robin Melchior façonne le sable mouillé en châteaux éphémères et transformables, dont les opulentes architectures de strates se répondent en un discours continu. Le moindre motif possède une force émotionnelle immédiate et prend la forme du suivant, à la manière des illusions cultivées par cette île aux murmures humanistes. Le chef exploite et transcende tout le potentiel spontané de la partition jusqu’à en fournir une lecture plus théâtrale encore que le théâtre, dans une stupéfiante boîte à idées qui ne recule devant aucune expérimentation d’équilibre, de dessin mélodique ou de motorisation rythmique. Lors d’une scène voyant Kaëlig Boché enchaîner les récitatifs parlés, il dégaine par exemple ses miniatures d’accompagnement comme si elles faisaient partie d’une même immense phrase où la voix non-chantée avait sa place attitrée.

Zaïde - Opéra de Rennes (c) Laurent Guizard

La poigne réconfortante du ténor breton s’assortit à un légato velouté. Il campe un Gomatz exaltant, prenant possession de l’espace sonore, caressant les appoggiatures et œuvrant vaillamment aux marches harmoniques. Kseniia Proshina avait déjà approché le rôle de Zaïde lors d’un récital Mozart de l’Académie de l’Opéra national de Paris, début 2022. Ce soir, elle s’y adonne pleinement dans une énergisante poétique de l’appel. Elle fragmente la phrase pour mieux en ressentir toutes les facettes, tantôt en textures crayeuses, tantôt dans le satin de l’homogénéité. Autre alumnus de l’Académie parisienne, Niall Anderson dessine des contours clairs à sa ligne, mais pèche cependant par des attaques d’engloutissement. Enfin, le ténor Mark Van Arsdale atteint une osmose entre la musicalité de la syllabe et la narration des notes. Il séduit par son style mozartien prononcé et sa fluidité indomptable, aidés par une technique hors pair.

Louise Vignaud n’aura pas donc clairement pas réitéré l’enthousiasme de sa Dame blanche de 2020, mais les nombreuses dates françaises de Zaïde permettront de savourer avec encore plus de plaisir la direction musicale de Nicolas Simon, pour cette nouvelle collaboration.

Thibault Vicq
(Rennes, 8 février 2023)

Zaïde, de Wolfgang Amadeus Mozart :
- à l’Opéra de Rennes jusqu’au 12 février 2023
- à Angers Nantes Opéra (Théâtre Graslin, Nantes) du 26 février au 5 mars 2023
- au Théâtre de Cornouaille (Quimper) les 15 et 16 mars
- aux 2 Scènes (Théâtre Ledoux, Besançon) les 24 et 25 mars
- à l’Opéra Grand Avignon, ultérieurement

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