Une Nuit funèbre recueillie pour le festival de l’Opéra de Lyon

Xl_nuitfune__bre_hd__c_bsoulage_s_o_1ermars2022__dou4533 © B SOulage - S&0

Avant Miranda – sur des compositions de Henry Purcell –, la metteuse en scène Katie Mitchell et le chef Raphaël Pichon avaient expérimenté le pasticcio sur des cantates de Jean-Sébastien Bach. La proposition de théâtre musical Trauernacht (Nuit funèbre), créée au Festival d’Aix-en-Provence en 2014 (en coproduction avec le Dutch National Opera, l’Opéra National de Bordeaux, la Fondation Calouste Gulbenkian et la MC2 de Grenoble), questionnait le rapport de quatre adultes à la mort de leur père. Onze instrumentistes en fond de scène, une table et des casiers comme seuls éléments de décor, puis la musique comme fil conducteur faisant toucher du doigt le sacré à partir de nos corps d’humbles mortels. L’Opéra de Lyon intègre à juste titre le spectacle à son festival 2022, portant sur les secrets de famille, avec une autre équipe.


Nuit funèbre (Trauernacht), Opéra de Lyon © B Soulage – S&O

Le premier contraste, saisissant, est celui entre l’esplanade des Célestins, Théâtre de Lyon – qui héberge les représentations –, accueillant les spectateurs avec d’extravertis magnolias en fleur, et la gravité sépulcrale du spectacle. Le second se construit entre la foi arbitrant le texte chanté, et le contexte terrien de Nuit funèbre. Les frères et sœurs sont réunis autour d’un dîner frugal, qui fait revenir l’image du défunt (Philippe Dusigne) à leurs côtés ou en retrait. Ils sortent et ressortent ses effets personnels, se servent de la liqueur et de l’eau, débarrassent les assiettes. Le rituel domestique des quatre orphelins, au ralenti ou en vitesse réelle, célèbre et « nettoie » les souvenirs d’un homme si proche et pourtant inconnu. On se déchire sur des contrepoints, on se prend dans les bras, on se regarde, on s’éloigne, on invoque Dieu dans le texte sans forcément y croire. Dès les premières minutes, nous percevons qu’il va falloir jongler mentalement entre ce qui est dit et ce qui est fait, dans un espace temporel mouvant, mais cette nouvelle topologie du rapport à la scène trouve rapidement son rythme de croisière. Si les indices que Katie Mitchell – et Robin Tebbutt, qui reprend la mise en scène – dissémine ne sont pas ceux du texte, elle offre un écrin théâtral aux contacts interpersonnels. Il ne faut pas chercher à savoir ce que la lettre du père recèle, car les effets collatéraux se dévoilent dans l’anticipation de l’après, dans la sensibilité de chaque réaction face à deuil. Mais c’est la nouvelle mise en perspective des fragments de Bach qui est pour beaucoup dans l’universalité du spectacle.

Simon-Pierre Bestion plonge d’emblée la musique dans un esprit de traversée, par les tenues et les silences qu’il laisse infuser aux onze instrumentistes du département de musique ancienne du CNSMD de Lyon. La phrase ouvre une fenêtre, un portail. Le rythme s’installe en profondeur, s’intègre patiemment, dans un esprit de veillée faite pour durer. Le chef assortit une alchimie des couleurs et les engrenages de relais thématiques et d’accompagnement. Il ne se contente pas d’apporter de la cohésion aux pupitres : il sait explorer la résonance pour y cueillir le bourgeon sonore le plus enfoui.

Les fulgurants quatuors vocaux a cappella communiquent le mieux la transition d’un état à l’autre. Des notes y résonnent longuement comme une blessure naissante, les déplacements scéniques leur confèrent un emplacement propre. Chez la soprano Élisabeth Boudreault, le contrôle du vibrato et de la projection embrasse l’impact dramatique, la durée et l’attente sont interprétées avec beaucoup de courage. Le souffle infini de la mezzo Fiona McGown sublime l’expression d’une myriade de personnages intérieurs fantasmés. Le baryton Romain Bockler répand des tentacules vocales hypnotiques jusqu’à créer un sublime manteau blottissant, aux consonnes purificatrices. Andrew Henley convainc moins en raison d’imprécisions et d’un naturel expressif moins remarquable, malgré un jeu d’acteur d’aussi belle qualité que ses collègues.

Thibault Vicq
(Lyon, 19 mars 2022)

Nuit funèbre (Trauernacht), extraits de cantates et choral BWV 668 de Jean-Sébastien Bach, aux Célestins, Théâtre de Lyon jusqu’au 27 mars 2022

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