Tosca à la lettre, à l'Opéra Bastille

Xl_vincent_pontet___opera_national_de_paris-tosca-20-21---vincent-pontet---onp---15--1600px © Vincent Pontet

Nous n’avons jamais vraiment apprécié cette production de Tosca par Pierre Audi, que l’Opéra national de Paris ressert depuis 2014, mais les distributions qui s’y collent à chaque recréation ont de quoi faire chavirer de plaisir les oreilles les plus exigeantes. La réouverture de Bastille depuis Manon en mars 2020, et les prises de rôle de Maria Agresta (Tosca) et Michael Fabiano (Cavaradossi) nous font remettre les compteurs à zéro. Si les manquements scéniques – en particulier théâtraux, sans doute les plus préoccupants – listés par nos confrères d’Opera Online en 2014 et en 2016 persistent, nous nous surprenons désormais à un peu plus d’indulgence vis-à-vis du dispositif scénographique de la croix surplombante (Christof Hetzer) et des éclairages en clair-obscur (Jean Kalman).


Tosca, Opéra de Paris (c) Vincent Pontet

Et après tout, c‘est Tosca, et la musique parle d’elle-même. Sauf que le chef Carlo Montanaro – que nous avions déjà vu à l’œuvre, et en mieux, sur le même opus de Puccini à l'Opéra de Monte-Carlo il y a six ans – ne fait pas suffisamment s’épancher la partition. Nous avons plutôt affaire à une précision et une légèreté de bel canto, qui, transposées aux tsunamis d’émotions du triangle amoureux de 1899, fait pâle figure. Comme avec du café en grains mal dilué dans beaucoup d’eau, nous sentons le goût qu’aurait pu avoir cette Tosca, mais n’en avons sur la langue que quelques morceaux concentrés entre deux gorgées assez fades. Avec ces courants d’air, les mystères harmoniques et les soulèvements de l’opéra passent à la trappe. La musique se contente de défiler plutôt que de proliférer en nœuds inextricables. L’Orchestre de l’Opéra national de Paris n’est pas complètement en cause : les pupitres de cuivres sont admirables et les bois nous font retrouver les agréables vertiges de leurs solos, bien que la meute toujours si bien organisée des cordes se révèle assez scolaire ce soir.


Tosca, Opéra de Paris, Maria Agresta et Ludovic Tézier (c) Vincent Pontet

Tosca, Opéra de Paris, Maria Agresta et Michael Fabiano (c) Vincent Pontet

Ludovic Tézier reste indétrônable. Lui qui avait fait sa prise de rôle de Scarpia ici-même dans cette production – à la création de 2014 citée plus haut – continue de fasciner en homme cynique du « monde » qui s’ennuie de sa vie de bourreau. Il assène le charme sans l’expliciter, la ligne vocale se soulève tout en demeurant collée aux acquis du personnage. Nous percevons sans heurts le territoire de connaissances que Scarpia possède et souhaite garder pour lui-même. Il s’empare même du pouvoir sur les spectateurs, et rehausse sa prestation d’une prononciation exquise. Le moindre « Tosca » sorti de sa bouche fait frémir. Encore une prestation exceptionnelle pour une de nos fiertés nationales !

Le couple formé par Maria Agresta et Michael Fabiano souffre sûrement de la vacuité théâtrale induite par la production. Il est certain qu’ils sont très en place rythmiquement et chantent ce qu’ils ont à chanter, mais de là à faire croire aux amants pucciniens, nous sortons notre joker. La soprane semble quelque peu absente et systématique dans le phrasé au premier acte. Elle reprend du poil de la bête au II, où la voix se penche davantage sur la profondeur de champ, dans des superbes nuances pollinisées, nappée d’une moelleuse carapace argentée. Elle ne défaille d’ailleurs pas lorsqu’un membre du public se mouche bruyamment sur « Vissi d’arte » – cela et les toux grasses nous avaient presque manqué. Le ténor étasunien dispose d’une technique infaillible et épate par la netteté de l’émission. Son Cavaradossi en excellente santé vocale est une sorte de ménestrel, un messager de l’art. Toutefois, derrière la surface émergée du tableau manque la couche porteuse donnant toute sa saveur au rendu final. Le rôle aurait paru moins partiel en assumant d’explorer les doutes du personnage, qui ne transmet ici que la magie de l’instant avec ce coup de pinceau expérimenté. Les deux chanteurs se retrouveront en juillet sur Tosca au Teatro Real, et la mise en scène leur permettra peut-être d’incarner plus humainement leur personnage.

La Maîtrise des Hauts-de-Seine et les Chœurs d’adultes et d’enfants de la maison sont à créditer de la puissance des ensembles, tandis que Guilhem Worms est un Angelotti idéal et incontestable, et Frédéric Caton un Sacristain généreux.

Nous aurions donc pu avoir mieux pour cette réouverture, mais nous aurions surtout pu avoir pire. Au vu des décibels des applaudissements, la balance penche du bon côté !

Thibault Vicq
(Paris, 8 juin 2021)

Tosca, de Giacomo Puccini, à l’Opéra national de Paris (Bastille) jusqu’au 25 juin 2021

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